Chapitre 35

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- Bon, les enfants, soyez sages avec Maja, d’accord ?

Julia s’accroche à mes jambes.

- Tu rentreras vite, maman ?

- Je te le promets.

Maja me fait la bise.

- Ne t’inquiète pas, me glisse-t-elle, je veille sur eux.

- Merci pour tout, Maja. Je te revaudrai ça.

Elle balaie mes remerciements d’un geste de la main.

- C’est le rôle d’une amie !

Je lui souris.

- Merci quand même.

Elle secoue la tête.

- Allez, file !

J’adresse un coucou à Julia et tourne les talons. J’entends Maja refermer la porte d’entrée. J’inspire calmement. Tout va bien se passer...

***

Je retrouve Nathaël à l’adresse qu’il m’a envoyée sur mon téléphone portable. Je mets très peu de temps à trouver ; il s’agit d’un restaurant très chic au cœur de la ville. Un endroit où je ne mettrais pas les pieds en temps normal... Mais aujourd’hui, c’est différent. Je fais ça pour la vérité, et pour Julia. Je veux pouvoir lui dire qui est son père lorsque je m’en sentirai le courage. C’est important. Pour elle comme pour moi.

Je carre les épaules et pénètre à l’intérieur de l’établissement.

- Bonsoir, je dis à l’attention d’un monsieur au comptoir.

- Bonsoir madame ! Que puis-je pour vous ?

Je me racle la gorge.

- Est-ce que Nathaël Reyes est arrivé ? Il m’attend, normalement...

L’homme consulte un agenda puis lève les yeux vers moi et me sourit.

- Oui, ce monsieur est arrivé. Veuillez me suivre.

Je m’exécute. Nous passons devant beaucoup de gens attablés, puis le monsieur tire un rideau au fond de la salle et me montre une table cachée, où Nathaël est assis. Il est en train de consulter sa montre.

- Je vous laisse. Je vais revenir avec la carte, nous indique le serveur.

Nathaël ne se tourne pas vers moi. J’accroche mon manteau sur le dossier de ma chaise et m’assieds en silence, nerveuse.

- Tu es en retard, me reproche-t-il. De...

- Trois minutes et quarante-sept secondes, je sais.

Il lève les yeux vers moi, l’air surpris.

- J’ai dû déposer les enfants de ma sœur chez une amie, et ça m’a pris plus de temps que prévu...

- Je m’en fiche de ça, Ophélia.

Mon cœur se serre.

- Votre frère n’aurait jamais dit ça.

- Je ne suis pas mon frère, dit-il sèchement. Ça tombe bien, non ?

Son sourire est glacial.

- Ça a dû être dur, de vous faire passer pour lui pendant plusieurs mois. Vous êtes très différents. Deux opposés, en fait.

- Et toi, tu n’as rien remarqué ! rit-il. Maintenant, tutoie-moi. Nous avons vécu ensemble, même si l'idée te déplait.

J'ouvre la bouche, mais il lève une main en l'air pour m'interrompre.

- Je vais reprendre là où on s'est arrêté, mais tu vas me tutoyer. Si tu ne le fais pas, je ne suis pas certain que tu ressortes de ce restaurant en sachant la vérité.

Je prends une grande inspiration pour me calmer. Je dois seulement le tutoyer. Ce n'est pas grand-chose. Je peux le faire. Il faut bien que je le fasse, si je veux savoir...

- Je me suis fait passer pour Raphaël pendant plusieurs mois et tu n'as rien remarqué, reprend-il.

Je déglutis.

- Vous... Tu...tu as très bien joué ton rôle, Nathaël.

Il me sourit avant de me scruter profondément. Je croise et décroise les jambes, mal à l'aise sous son regard.

- J’aurais pu rester auprès de toi. J’aurais pu continuer à faire semblant, dit-il en faisant tourner une de ses bagues autour de son doigt.

- Mais tu ne l’as pas fait.

- Je savais bien que Raphaël rentrerait un jour. Il fallait que tout se termine mal pour vous deux.

- Pourquoi es-tu si cruel avec lui ?

- Parce qu’il a été cruel avec moi ?

Je fronce les sourcils.

- Raphaël est quelqu'un de gentil. (Je marque une pause.) Je ne peux pas te croire, Nathaël.

- Que dit le proverbe, déjà ? fait-il semblant de chercher. Ah, oui : « L’amour rend aveugle ».

Il hausse un sourcil à mon intention.

- Je n’aime plus Raphaël, je rétorque aussitôt.

J'ai répondu bien trop vite. Le sourire de Nathaël s'élargit.

- Tu sais aussi bien que moi que c’est totalement faux. Et lui t’aime aussi. Mais vous n’êtes plus ensemble.

- Il ne m’aime plus. Il s’est fiancé !

- Tu es jalouse. Tu l’aimes.

- Bien sûr que je l’aime ! j’explose. Mais à cause de toi, rien ne sera comme avant... Ne tourne pas autour du pot, Nathaël. Dis-moi ce que je veux savoir.

- Je suis content que tu l’aies dit. Je n’aime pas les gens qui font semblant, ou qui mentent.

- Dans ce cas, tu ne dois pas beaucoup t’aimer, je lance.

Son regard s’assombrit.

- Effectivement.

- Alors arrête de faire du mal autour de toi. Tu pourrais...

- Non, je ne pourrai pas. Je ne suis pas comme toi. Je ne serai jamais comme toi.

- Comment ça, comme moi ?

Il croise les mains sur la table.

- Tu es lumineuse malgré ta noirceur. Tu as réussi à passer au-dessus. Grâce à Raphaël. Mais moi... C’est à cause de Raphaël que je suis aussi noir à l’intérieur...

- Qu’est-ce qu’il a fait ?

Il sourit mauvaisement.

- Tu as changé d’avis à son propos ?

- Qu’est-ce qu’il t’a fait ? j’insiste.

Le regard de Nathaël change. Je le vois réellement. En fait, cette attitude n’est qu’une armure pour se protéger. Il détourne le regard, et je comprends qu’il cherche à cacher sa douleur.

- Ce n’est pas le moment de t’en parler.

- Et pourquoi pas ?

- C’est moi qui détiens la vérité, dit-il d’une voix ferme.

- Alors dis-moi. Depuis que Raphaël m’a raconté que tu as pris sa place à l’époque, j’ai besoin de savoir...

- Pourquoi en as-tu tant besoin ?

- C’est important. Cet enfant que j’ai eu...je veux savoir qui était son père.

Nathaël me scrute. Cet instant dure un moment, et c’est horrible ; j’ai l’impression qu’il lit en moi comme dans un livre ouvert...

- Je sais que ce n’est pas la seule raison, fait-il d’une voix aussi douce que de la soie. Je sais que tu veux connaître la vérité pour Julia. Ta fille. Car tu ne sais pas qui, de moi ou Raphaël est son père.

Only One Life (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant