Chapitre 13 : The eye of tortoise.

7 2 3
                                    


«Que dit-on à un têtois qui se vante sans arrêt ?

TAIS-TOI ! » blague postériarde

Alors que seuls les pas des danseurs nocturnes troublent le silence de l'aube naissante, Flora se prépare pour son entraînement quotidien. Elle s'échauffe, s'étire, avant d'agripper d'une main sûre le poteau qui trône fièrement au milieu du jardin. Son bois est poli par des années d'usage : il a été installé par son arrière-grand-mère, inventrice de l'ascendanse.

En grands écarts et en déliés, Flora caresse le sol , tel un pétale emporté par le vent avant de se poser délicatement. Soudain elle s'embrase, devient flamme qui rugit vers le ciel, se hissant à la force de ses bras au sommet du poteau, dans un tournoiement qui libère ses cheveux sauvages. Là, elle reste immobile sur la pointe des pieds, d'une pose théâtrale narguant la gravité. Finalement, malgré son équilibre fragile, elle exécute parfaitement un salut têtois.

Essoufflée, Flora reste néanmoins sur son perchoir, contemplant, dans l'horizon baigné de soleil, la TÊTE majestueuse de la tortîle qui fend les vagues. Danser sur la TÊTE est un honneur sans pareil, et Flora compte bien être la prochaine à le recevoir. D'un double salto, elle rejoint le sol des communs; son père arrive alors, achevant de manger une généreuse tartine de pain beurré.

—Je suis heureux de te voir t'entraîner de bon matin, sourit-il.

—Tu me prives de petit déjeuner sinon, maugrée-t-elle.

—Qu'as-tu dit ?

—Juste que j'ai faim, répond Flora d'un ton acide.

—Viens manger ma fille, je t'ai laissé du bon pain frais dans la cuisine.

Tandis qu'elle dévore ses tartines durement méritées, Rorellio l'assomme de discours mille fois répétés.

—Tu es prête pour le concours ?

—Oui, papa.

—Ton inscription n'est pas encore officielle, peut-être vaut-il mieux que tu tentes ta chance l'an prochain...

—C'est comme tu veux papa.

—Je ne sais pas... Si seulement tu avais le droit de participer plusieurs fois !

—Papa, soupire Flora, arrête de râler contre les règles du concours.

—Tu ne comprends pas ! J'ai vu ma victoire volée par une postériarde, une traînée déloyale qui ne méritait pas de danser sur la TÊTE.

Flora se plonge dans un silence gêné, par crainte de fâcher son père en lui faisant une remarque: Par contre Lorena, sa grand-mère qui vient d'entrer dans la pièce, adore remettre son gendre à sa place :

—C'est petit, même pour toi, d'insulter une femme parce qu'elle t'a battu.

—Elle m'a saboté ! rugit Rorellio. J'étais clairement meilleur, et j'aurais pu le prouver l'année suivante sans cette règle stupide imposée par nos ancêtres.

—Tu prétends qu'elle a triché, et pourtant les juges ne l'ont pas disqualifiée, réplique Lorena d'un ton moqueur.

—Ces idiots m'ont ri au nez quand je suis allé me plaindre. Ils ont refusé de voir clair dans ses viles manigances...

—Papa, l'interrompt Flora, je retourne m'entraîner.

Elle sort dans le calme du jardin, où le poteau fidèle l'attend résolument; affronter les épreuves de l'ascendanse est moins pénible que d'écouter un père amer ressasser le passé. Inspirer, expirer ; avant, arrière...

L'êdâge de la tortîleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant