Chapitre 14 : Casse-Baguettes II

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«Depuis la Tête, les têtes des têtois contemplent la TÊTE de la TORTUE qui porte la tortîle.» exercice de diction d'Aro

À grand renfort de cris, Regina motive ses apprentis, surtout Pedro qui multiplie les faux pas ces derniers jours. Elle veut une boulangerie impeccable, un pain succulent, parce qu'elle attend la venue de la danseuse étoile de Pard. La talentueuse Nino s'est hissée à la tête de la région à la force de ses jambes. Les pardois n'ont pas à se plaindre de leur dirigeante, altruiste par nature, qui n'hésite pas à venir danser personnellement en cas de risque d'inondations. Regina se doute bien de la raison de sa visite : chaque année, elle vient lui proposer de défendre l'honneur de Pard au grand concours de danse de la tortîle. La boulangère de génie est sans conteste une candidate de premier ordre, néanmoins elle préfère largement pétrir du pain que se mêler de la vie politique.

Alors que l'estimée visiteuse va arriver d'un instant à l'autre, Regina passe une dernière fois ses troupes en revue :

—Montrez-moi vos pains tous les deux... Lisa ça ira, par contre Pedro tu cacheras les tiens sous les siens.

—Oui madame, répond l'apprenti d'une voix éteinte.

—Répétons une dernière fois la gigue d'accueil pour la danseuse étoile...

Leur répétition est interrompue par Nino, qui entre gracieusement dans la boutique.

—Ma chère Regina, s'exclame-t-elle, quel plaisir de te voir !

—Tout le plaisir est pour moi, Nino. Je te présente mes deux apprentis, Lisa et Pedro.

—Je suis sûr que ces petits iront loin grâce à toi. Mais trêve de bavardage, tu sais pourquoi je suis là ?

—J'imagine que tu ne viens pas acheter du bon pain frais ?

—Je serais bien bête de repartir d'ici les mains vides, pour sûr. Cependant, il s'avère que le concours de danse approche, et j'aimerais savoir si cette année tu vas enfin accepter de représenter les pardois...

—J'accepte.

—Je comprends que tu préfères rester dans ta boulangerie, mais j'aimerais tant qu'on rabatte le clapet à ces fichus têtois... attends, mais tu as dit oui ?

—J'en suis la première étonnée.

—Par quel miracle as-tu changé d'avis ?

—Eh bien, ça va te sembler ridicule, mais j'ai fait un rêve particulièrement vivace la nuit dernière : je pétrissais mon pain sur la TÊTE afin de nourrir la TORTUE. Aussi stupide que cela puisse paraître, impossible de me défaire de l'exaltation que j'ai ressentie.

—Peu importe la raison, cette année nous aurons une première danseuse pardoise !

Lino sort ravie, si pressée d'annoncer la nouvelle qu'elle n'emporte même pas un petit biscuit pour la route.

Le soir venu, Pedro s'occupe de la fermeture, notamment pour se débarrasser des invendus. Les pains de Lisa sont presque tous partis, tandis que personne n'a voulu des siens ! Il repense honteusement à Regina qui lui demande de cacher ses monstruosités, puis éclate en pleurs. La boulangère, qui s'apprêtait à partir, fait demi-tour et voit son apprenti déverser ses larmes sur un pain malformé qu'il tient au creux de ses mains.

—Allons, Pedro, qu'est-ce qui ne va pas ? murmure-t-elle.

—Je...suis...un...raté, articule-t-il entre deux sanglots.

—N'importe quoi ! t'as beau galérer comme boulanger, ça dit pas qui tu es toi.

—Mais c'est mon rêve d'enfant !

L'êdâge de la tortîleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant