Au cœur de l'espace, le Waterloo avait terminé sa mission en tant que patrouilleur. Il dérivait à présent sans but dans l'immensité insondable de la nuit, perdu telle une poussière au milieu d'une nébuleuse, condamné à errer sans grande chance d'être retrouvé un jour. Moteurs éteints, sas béant ; dans sa retraite éternelle, il n'était plus qu'un tombeau éventré qui abritait les corps de ses quatre occupants.
Pour le Stockholm, en revanche, il était l'heure de panser ses plaies et de reprendre du poil de la bête. Luc n'avait retrouvé sa liberté que sous étroite surveillance, juste le temps pour lui de fermer le sous-programme activé par les soldats. Maintenant que l'ADICT était rayée de l'équation, l'apprenti n'avait plus de raison de dissimuler ses compétences.
Il fut ensuite conduit en salle des machines où il se garda de questionner l'origine des taches de sang séché sur le sol. Après quelques manipulations simples, les moteurs redémarrèrent enfin. Ses geôliers doutèrent un instant du succès de la manœuvre, tant les grosses turbines restèrent silencieuses, mais Luc leur expliqua que les moteurs du Stockholm étaient un bijou de technologie – malgré son grand âge – et non pas une vieille machinerie à vapeur crachotante. Ne restait plus qu'à programmer un itinéraire dans le pilote automatique.
Une tension perceptible monta entre Ellie et Seth dès l'instant où ils comprirent qu'ils étaient désormais affranchis de la destination préprogrammée à leur départ de la Terre. L'intrusion de l'ADICT avait supplanté tous les ordres précédents et le Stockholm était à présent libre de mettre le cap vers où bon lui chantait. Autrement dit, le premier à poser les mains sur la console de navigation, en cabine de pilotage, aurait le dernier mot.
Luc fut presque déçu de ne pas voir les deux alliés de circonstance se lancer dans une course vers les commandes, à l'autre bout de l'appareil. Il aurait savouré l'instant où ils auraient tous les deux retourné leur veste pour faire passer leur intérêt personnel en premier. Toutefois, Ellie et Seth se montrèrent prudents et raisonnables. Ils ne se précipitèrent pas et prirent le temps de raccompagner leur jeune prisonnier dans sa chambre avant de décider de quoi que ce soit.
Dans le couloir qui menait à la cabine de pilotage, ils marchèrent épaule contre épaule – ou épaule contre coude, eu égard à la différence notable de taille – en veillant à se maintenir au même niveau. Si l'un d'eux faisait mine de vouloir prendre les devants, il courait le risque que l'autre l'interprète comme une tentative de le doubler et la situation pouvait glisser hors de contrôle.
— On met le cap sur Chimæra, comme convenu, n'est-ce pas ? interrogea Ellie en arrivant à hauteur de la porte.
Ils s'arrêtèrent tous les deux devant l'encadrement trop petit pour les laisser passer côte à côte. L'humaine leva un regard inquisiteur sur le géant. Elle ne savait pas s'il la voyait en retour, peut-être devinait-il son ombre à travers le tissu noir qui lui bandait les yeux. Ils n'avaient pas trouvé d'autre paire de lunettes tactiques en fouillant le Waterloo, avant de le larguer, alors l'alien se contentait de la bonne vieille technique du bandeau et était reconnaissant pour la prévenance dont faisait preuve sa camarade en n'allumant jamais la lumière en sa présence.
— Comme convenu, confirma-t-il après un silence d'une durée suspecte.
Ellie entra la première dans la pièce et s'installa sur le fauteuil du pilote. Le système lui était à nouveau familier, elle fit défiler les informations sur l'écran jusqu'à accéder à l'historique de navigation, les coordonnées de Chimæra y étaient stockées, il n'y avait qu'à les valider.
La jeune femme sentit l'ombre du géant peser sur son dos. Il se pencha par-dessus son épaule et posa une main enveloppante sur la sienne pour stopper son activité. D'une simple pression, il pouvait lui briser les phalanges, l'arracher à ce fauteuil et lui imposer sa volonté ; elle en avait parfaitement conscience.
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Stockholm [Terminé]
Ficção Científica[Suspense~morally grey] Un vaisseau, deux passagers clandestins, dix mois pour prendre le contrôle. Qui de la surveillante pénitentiaire ou du mystérieux étranger imposera son autorité à l'autre ? Quand les rôles se brouillent, tout peut arriver. �...