PROLOGUE

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— Mon loup, mon loup, m'entends-tu? Le vieux chêne en lisière de forêt appelle, appelle. Nous ne pouvons jamais ignorer l'écho de ses racines. Mon loup, mon loup, m'entends-tu?

Les dernières paroles de la comptine s'évanouissent dans la pièce et je regarde tes petites paupières se fermer délicatement. Lentement.

Mon doux bébé... Mon amour... Ma plus grande fierté.

— Dors, mon loup. Tu es en sécurité.

Rien ne t'empêchera jamais de dormir. Jamais.

En cette fin de journée hivernale, la neige ne cesse plus de tomber, enveloppant d'un manteau blanc la clairière qui entoure la chaumière. J'ai déjà hâte d'aller courir dedans. Renn était à la chasse toute la journée et je suis restée près de toi, pour te garder au chaud. Je suis si impatiente que nous puissions aller galoper ensemble dans la forêt. Je t'apprendrais tout de ton monde, notre monde. Tu verras comme la nature est belle et à quel point il faut la chérir pour ce qu'elle nous offre. À quel point le ciel et le soleil sont cléments quand ils nous gratifient de chaleur.

Mon fils... Tu as tellement de choses encore à découvrir.

— Cet enfant devra bien dormir dans son berceau un jour, que je ne l'eusse pas fabriqué pour rien.

Je lève les yeux vers ton père, Renn. Je crois qu'il est un peu jaloux que je te garde (trop) souvent dans mes bras.

— Tu veux le porter ? proposé-je avec malice.

Quand il approche, je remarque à son sourire en coin qu'il n'y a pas que moi que tu fais craquer. Il t'enlace avec délicatesse et t'observe dormir avec un regard tendre, sans pouvoir s'empêcher de te bercer. Mon cœur fond. Je ne demande rien de plus. Juste cette vision magnifique de vous voir tous deux, père et fils, heureux d'être l'un contre l'autre.

Il est temps de préparer le repas. Le gibier est rare ces temps-ci et la météo rude. Mais nous sommes habitués aux changements de saisons et nous avons fait les provisions nécessaires quand nous avons appris ta venue. Ô que nous étions comblés ! Heureusement, te nourrir est très simple pour le moment. La chaleur de mon sein suffit pour t'abreuver en lait.

Ton père ne s'en rend pas compte, mais je l'entendrais presque ronronner tellement il est apaisé prés de toi. Je souris. J'ai foi en toi, mon Étann... tu seras pour nous, un renouveau. L'élu. La preuve vivante que les humains et les lycans peuvent cohabiter. La Paix. Je prie pour ça, tous les jours que Calunéa fait.

Un bruit de neige qui s'affaisse attire mon attention au loin, dehors. Le son n'est pas assez proche pour que je puisse distinguer si c'est un monceau de neige qui est tombée d'un arbre, ou si c'est... autre chose.

Je tourne la tête vers l'entrée et mon geste brusque alerte Renn.

— Tu as entendu quelque chose ? demande-t-il, méfiant.

Je ne réponds pas et renifle l'air à la recherche d'une odeur qui nous serait étrangère. Mes phéromones sont partout depuis ta venue. Je ne discerne rien à part un effluve lointain de camphre, peut-être ?

— Rien de certain...

— Veux-tu que j'aille vérifier dehors ? demande-t-il en te déposant dans ton berceau. Nous ne pouvons pas prendre le moindre risque.

Soudain, un hurlement lycan ! À l'extérieur. Un frisson me glace le dos et Renn te plaque contre lui. Non ! Ce sont eux, c'est sûr ! Ils arrivent. J'entends leurs pattes dans la neige ! Ils sont nombreux ! Mes pupilles se dilatent sous la panique qui m'étreint. Il faut faire vite.

— Sabi, que se passe-t-il ?

10 mètres. Ils galopent. Je les discerne mieux. Ils ne prévoient pas d'être discrets. Ils viennent récupérer ce qui leur est dû ! NON !

La gorge nouée, je m'élance récupérer le couteau de chasse de Renn sur le bord de l'âtre, pour ensuite l'accrocher à son ceinturon de cuir. Je dépose ensuite mon front contre celui de ton père, m'efforçant de diffuser des phéromones rassurantes dans l'air pour ne pas te réveiller, mon bébé.

— Sabi, vas-tu enfin me dire ce...

— Chuuuuut, mon amour, annoncé-je la voix chevrotante, en entourant son cou de mes mains, mes pouces sur sa bouche. Il va falloir que tu m'écoutes. Nous n'avons pas beaucoup de temps. Ils sont là, ils nous ont trouvés, tu dois fuir au plus v...

— Non, je ne partirai pas sans...

— Non ! Écoute. Ils sont devant la porte. Je t'aime. Je vous aime. De tout mon cœur. De toute mon âme. Je vais les retenir. Je vais tous les tuer. Tu dois partir dans la forêt. À notre point de ralliement. Tu dois cacher votre odeur et tes traces. Tu dois fuir, Renn ! Tu dois le sauver, mon amour. Je ne supporterai pas qu'ils nous le prennent...

— Sabi, Sabi... non... je ne peux pas te laisser ici !

— Nous n'avons pas le choix ! Je peux le faire ! Je vous rejoindrai !

Je dépose mes lèvres tremblantes sur la peau douce de ton front. Ton odeur parfaite se mélange à celle des ennemis qui approchent et que je discerne désormais parfaitement. L'émanation de la mort et du sang frais.

Mon enfant, je te fais la promesse que je te retrouverai, peu importe comment, et que je te donnerai tout. Par la déesse Calunéa, jamais je ne t'abandonnerai. Je me vengerai d'eux. Jusqu'au dernier. Je te sauverai.

— Je t'aime, Étann.

— Arrête de parler comme si tu n'allais pas survivre, Sabi !

— Prends bien soin de lui. Je t'en supplie ! Maintenant, cours !

J'ai à peine le temps de vous pousser dans le garde-manger que les débris de bois de la porte d'entrée m'explosent dans le dos. Je ne m'attarde pas à vous regarder fuir et me transforme dans un saut vertigineux, brisant les meubles sur le passage. Je ne compte pas combien ils sont. Je mords, j'attaque, j'arrache leurs membres et disloque leur os. Je me bats telle la princesse des Oméga que je suis. Je tue et libère cette terre de ces âmes nécrosées, ces monstres cruels. Je les décime un par un. Je ne baisse pas ma garde une seconde. Je leur enfonce mes griffes dans le ventre et leur brise les côtes. Jusqu'à ce qu'à ma plus grande horreur, il apparaisse devant moi. Dans sa forme humaine.

Il est venu en personne.

Je gronde, mon pelage blanc tacheté de sang, issu des morsures qui m'ont été assénées par ses loups.

— Sabi... Enfin... Nous t'avons débusqué. Ça n'a pas été une partie de plaisir, mais j'ai gagné. C'est terminé. Je serais clément, tu mourras simplement à la falaise des Damnés pour ta trahison.

Je hurle dans la nuit naissante. Je ne plierai JAMAIS devant lui. Mon propre père. Ce tyran autoritaire et sanguinolent. Bolor le Féroce, Alpha de la meute Sylaé. Je le tuerai de mes mains. Je le ferais.

— Je sais que tu pourrais te battre la nuit durant, s'il le faut. Après tout, tu es ma fille et je t'ai élevé comme telle. Mais sois raisonnable, tu ne tiendras jamais. Nous sommes des dizaines à t'attendre dehors. De plus, si tu désires qu'il survive, je te conseille de nous suivre sans faire plus de difficultés...

NON! Je ne peux pas risquer qu'ils vous retrouvent, Renn et toi. Il faut que je gagne le plus de temps possible pour vous permettre de fuir.

Sans hésiter une seconde, au nom de l'amour et de la Déesse-Lune, je me hisse sur mes pattes arrière pour émettre un rugissement digne des plus effroyables membres de notre espèce.

Je repars au combat.

Ma guerre sera ta survie. Ma mort, ta rédemption. Ma douleur, ta force d'esprit.

Étann, mon loup.

Je t'aime.

Je suis désolée.

** 🌙**

D'OR ET DE JAIS - Tome 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant