14-Cassiopée

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      Toutes mes affaires avaient été soigneusement emballées. Prêtes pour le retour au manoir. Mais moi, je n'étais pas autant prête que mes affaires. J'avais peur, tellement peur. Mes parents avaient l'habitude de me punir à la place de Pollux, et même si j'appréciais qu'il ne souffre pas, je me sentais un peu plus blessée à chaque retour au manoir. J'avais peur de finir éparpillée en de milliers de morceaux. Plus le moment du départ se rapprochait, plus mon angoisse atteignait son point culminant. Mes mains commençaient à trembler, ma gorge se nouait, mes entrailles se resserraient, et mon épine dorsale me brûlait. Tout mon corps se contractait. Chaque partie de mon être était remplie d'une peur indéniable.

     J'en voulais un peu à mon jumeau d'avoir perpétué ses blagues incessantes, et par la même occasion, de s'en être pris à des sang pur. Le soir précédent, j'aurais pu le réduire à un tas insignifiant de chocogrenouilles lorsque j'avais appris que mon amie avait été la cible de l'une de ses blagues infâmes. Véra ne pleurait jamais et ne plaignait jamais. Elle restait toujours assise à m'écouter, à me comprendre, à me soutenir. Elle se comportait toujours en fille et en héritière modèle. Lorsque nous nous étions rencontrés, plusieurs années auparavant, mes parents m'avaient enjoint de lui ressembler. Je l'avais d'abord détesté. Je l'avais vu comme un objectif que je ne pourrais jamais atteindre. Je l'avais jalousé et avais pris plaisir à la blesser de mes crocs venimeux. J'avais été un véritable serpent. Puis au bout d'un certain temps, nous avions commencé à nous rapprocher au fil du temps, et, à force de nous côtoyer, nous avions fini par nous entendre.

     Finalement, j'avais fini par l'adorer. Elle m'avait apprivoisé, plus qu'un serpent, j'étais devenue un loup. Maintenant, elle était l'une des amarres importantes de ma vie. Elle me maintenait à quai et me permettait de ne pas partir à la dérive. Grâce à elle, à Pandora, à Pollux et à mes cousins Black, je ne chavirais pas. Je ne me laissais pas emportée au large, noyée par le tourbillon meurtrier des vagues glaciales. Mais malgré toutes ces amarres, il m'arrivait de me perdre dans l'étendue d'eau. Elles n'étaient que cinq, un chiffre impair et faible. J'en avais besoin de plus. Je vivais grâce à celles-ci.

     A chaque retour au lugubre manoir que je détestais tant, tous mes repères étaient arrachés et pillés. Ils étaient détruits et durant tout le temps que je passais dans ma prison, je ne pouvais plus me reconstruire. A chaque fois, ma vie était soit mise en pause dans le meilleur des cas, soit arrachée et éradiquée dans le pire des cas. C'était-à-dire presque tout le temps. Parmi les sorciers, notre famille était très connue pour son prestige et sa qualité de noble et très ancienne. A mes yeux, les Black n'était en réalité qu'un groupe de personnes, non une famille, qui avait le sang aussi pur qu'ils étaient tristes. Ce n'était pas la noble et très ancienne maison Black, c'était la noble et très triste maison Black.

      Chaque fois que mes bourreaux refaisaient surface, ils prenaient le temps de trancher sciemment chacune des cordes de mes amarres. Lorsque je les regardais, pas dans les yeux bien évidemment, je pouvais apercevoir le rictus triomphal et malingre qui se dessinait sur leur visage. Une seule amarre tenait bon à chaque fois, et heureusement, sinon j'aurais déjà depuis de longues années sombré dans le désespoir profond des âmes perdues. Seul Pollux résistait à la tempête. Difficilement et malgré la force du courant, il me sauvait en mettant en péril sa propre vie. Il était mon étoile.

     Tout cela expliquait que je n'en voulais plus à mon frère.je le comprenais. Je le comprenais. Tout d'abord, il n'avait pas intentionnellement blessé mon amie. Jamais il ne l'aurait fait. Logiquement, s' il la blessait, il me blessait aussi, et comme il était une partie de moi, il se blessait lui-même. Ensuite, il ne se sentait pas bien, il avait de plus en plus de mal à se faire à notre société traditionnelle de sorciers de sang pur. Il ne supportait plus la pression que notre famille exerçait sur nous, il avait besoin de se sortir de la tête toutes nos vieilles idéologies. Et la seule façon qu'il avait trouvé pour le faire était de, comme son groupe d'ami, les Maraudeurs, attaquer physiquement à l'aide de sortilèges facétieux la source du problème : les héritiers des serpents.

La Noble et Très Triste Maison BlackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant