4. Gaïa Vassilievna Parchoukova

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Alexandre ne se souvenait pas s'être endormi à nouveau. Quelques souvenirs brumeux lui revenaient, mais il avait du mal à les connecter les uns aux autres. Il se souvenait avoir avalé une soupe insipide après avoir repris une gorgée du même liquide épais et nauséabond. Il avait également un vague souvenir de Gaïa en train de discuter et de demander de l'aide à une silhouette drapée de noir.

— La position allongée devrait ralentir le poison, avait-elle expliqué.

Son corps était entré en contact avec quelque chose de mou et ce ne fut qu'après avoir rouvert les yeux qu'il réalisa qu'on l'avait allongé sur le canapé. La première chose qu'il vit était l'ombre géante d'une araignée projetée sur le mur par la lueur de plusieurs bougies.

Il n'avait plus mal à la tête, mais cligna lentement des yeux plusieurs fois pour évacuer les dernières impressions d'un rêve fiévreux qui lui collait à la peau.

Se relever s'avéra impossible. Ses muscles étaient trop endoloris, le poison semblant lui saper toute son énergie. Un sentiment de panique le submergea quand il se rendit compte de la vulnérabilité de sa position. Allongé sur le dos, il ne pouvait pas bouger.

Que lui avait-elle encore fait ?

Maintenant que son cerveau fonctionnait à nouveau normalement, il se rappelait très bien cette femme. Gaïa Vassilievna Parchoukova, l'apothicaire de l'impératrice.

Charles et lui l'avaient rencontrée le jour-même de leur arrivée au palais, quelques semaines auparavant.

Elle les avait surpris dès le début en se présentant comme une femme issue de la noblesse et désireuse de devenir médecin. Alors qu'elle leur avait confectionné des tisanes dont elle seule avait le secret pour soulager leur migraine après leur long voyage, elle les avait régalés de toutes sortes d'anecdotes. Déguisée en homme, elle avait réussi à intégrer l'université pour y suivre un cursus de médecine, puis avait décidé de voyager en Sibérie pour partir à la rencontre de tribus autochtones et élargir ses connaissances.

D'une allure simple, mais d'un charisme certain, Gaïa émettait où qu'elle aille une aura de mystère qui lui donnait l'air d'avoir accès aux secrets de l'univers entier. Le magnétisme qu'elle exerçait sur tout un chacun poussait à vouloir lui poser une infinité de questions. Comme si une seule de ses réponses apporterait une clé de compréhension cruciale aux plus grands questionnements de l'humanité.

En un sens, elle rappelait à Alexandre le chevalier lui-même.

Il n'était pas certain que celui-ci soit du même avis, mais tous deux avaient été fascinés par cette rencontre, par ses récits dignes des plus grands romans d'aventure. Combien de soirées avaient-ils passées à en discuter entre eux à nouveau ? À s'imaginer eux-mêmes dans ces contrées dont ils ne connaissaient rien ? Il était rare qu'ils aient à quitter leur pays et Alexandre avait toujours trop été attaché à Versailles pour en avoir envie. Pourtant, une seule conversation avait suffi à planter en lui l'envie de voyager.

Cette simple pensée fut tout de suite accompagnée d'un goût amer qui se déposa sur la langue d'Alexandre.

Jusqu'à aujourd'hui, il avait un bon souvenir de cette femme. Leur arrivée au palais s'était faite dans la douleur à cause du mauvais temps, du voyage interminable et du poids énorme qui reposait sur les épaules du chevalier. Le sort de tout un pays dépendait de lui et de sa capacité à approcher l'impératrice sous les traits de Lina.

Rencontrer une femme telle que Gaïa au moment de leur arrivée leur avait fait l'effet d'une bouffée d'air frais. Après plusieurs mois passés dans des carrosses plus ou moins confortables avec Charles, Alexandre avait vu l'énergie de l'homme se transformer en même temps que la sienne au contact de cette femme. Le chevalier avait retrouvé son humeur solaire et rieuse en quelques heures seulement.

Les Amours du Chevalier d'ÉonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant