9. Le cabinet d'Alexis Bestoujev-Rioumine

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Alexandre resta aussi près du chevalier que possible pour lui offrir toute la lumière dont il pouvait avoir besoin. Charles avait un visage concentré et passa un moment à examiner le mécanisme dans une attitude immobile, les bras croisés.

La première fois qu'il essaya quelque chose, l'écuyer retint son souffle pendant que son imagination conjurait toutes sortes de systèmes de sécurité susceptibles de les prendre au piège. Si le vice-chancelier était assez vicieux pour recouvrir ses documents de poison, peut-être ne reculait-il pas non plus devant des choses plus mesquines comme des piques qui sortiraient du sol ou des flèches cachées entre les livres.

Tandis que le chevalier attrapait un fil pour le glisser dans un engrenage, les muscles d'Alexandre se contractèrent en anticipation du danger. À côté de lui, Gaïa se mordit les lèvres tout en jouant nerveusement avec une plume. La voir ainsi exacerba les craintes du jeune homme. Avait-elle peur d'un piège, elle aussi ? Était-il possible qu'elle ait minimisé les dangers de cette mission ? Une remarque cinglante se formait sur le bout de la langue d'Alexandre, mais il inspira profondément. Il ne fallait pas déranger Charles. Il se contenta donc de fusiller la jeune Russe du regard. Cette soudaine agression dut la déconcerter car elle haussa les sourcils et son expression se fit perplexe.

La bougie était alors à moitié consumée.

Par la suite, Alexandre cessa de lui prêter attention. Il se concentra plutôt sur Charles qui était totalement absorbé par ses réflexions, inconscient de ce qui se tramait autour de lui. Il était rare de le voir ainsi et Alexandre était subjugué. La lumière de la bougie ne faisait qu'accentuer le côté onirique de ses traits. Il y avait un éclat dans ses pupilles, une lueur rendue plus intense encore par l'exercice auquel il se livrait.

Les nuages s'étaient accumulés à l'extérieur et avaient fini par bloquer entièrement la lumière de la lune. Dans l'obscurité profonde, le visage de Charles se découpait dans la nuit comme la flamme vacillante d'un foyer en pleine forêt. Ses lèvres, qui pourtant n'étaient pas maquillées, étaient d'un rouge écarlate. Immobile, une main gantée posée sur le menton et son pouce traçant ses propres taches de rousseur, il ressemblait à une de ces peintures en clair-obscur que le chevalier lui avait une fois montrées dans un musée. Était-il possible d'évoluer à côté de cet homme et de ne pas en tomber sous le charme ? Il se demandait si Gaïa était tout autant fascinée... Il n'osa pas vérifier.

La première manipulation que Charles tenta fut un échec. La deuxième également et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il hoche la tête et ouvre la bouche en un cri silencieux de compréhension.

Il jeta alors un coup d'œil complice à son écuyer.

— Je crois que j'ai trouvé, regarde...

Alexandre eut envie de lui répliquer que c'était ce qu'il avait fait tout du long, mais n'en fit rien.

Le chevalier attrapa plusieurs fils pour les déplacer légèrement vers la droite, puis vers la gauche. Il actionna un bouton, puis bougea les fils à nouveau avant de tout recommencer à l'envers. L'écuyer observait bouche bée avec l'impression d'assister à un spectacle de magie.

Pendant ce temps, le sourire de Charles s'élargissait de plus en plus. Il arrêta ses gestes au bout d'un moment pour lancer à son écuyer un regard presque espiègle.

— Prêt ? lui demanda-t-il.

Alexandre était persuadé qu'il ne faisait qu'une pause dramatique pour ménager ses effets. Trop heureux de jouer le jeu, il lui répondit avec enthousiasme.

— Allez-y !

Charles actionna la poulie sur la droite et un clic très satisfaisant se fit entendre.

Les Amours du Chevalier d'ÉonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant