6. Le cœur d'Alexandre

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La porte était ouverte quand Alexandre arriva.

La pièce était une simple antichambre donnant sur un des nombreux bureaux administratifs. Pourtant, rien n'avait été laissé au hasard. Les tons apaisants de vert et de beige apportaient à la salle une atmosphère accueillante. Le reste était cependant d'un tel luxe qu'il était impossible d'oublier sa propre insignifiance. Le lustre, la cheminée et ses dorures, les statues, les meubles massifs... Tout était fait pour rappeler aux visiteurs qu'ils se trouvaient bien dans le palais impérial de Russie et qu'ils n'étaient que de passage.

Malgré cela, les yeux d'Alexandre furent immédiatement attirés par la silhouette qui se tenait près de la fenêtre. Le chevalier n'avait pas remarqué sa présence et était en pleine contemplation des jardins. Les nuances de vert dont il était entouré ne faisaient qu'accentuer la couleur chaude de sa peau et le blond de ses cheveux. En des moments comme celui-ci, il semblait vraiment à Alexandre que le monde entier n'était qu'un écrin créé pour mettre en valeur sa beauté éthérée

Alexandre prit le temps de l'admirer en silence. D'ici une petite heure, Charles allait se rendre dans la grande salle pour le bal. Il était donc déjà paré de ses plus beaux atours. Ses habits étaient sobres, mais d'un noir qui allait très certainement jurer au milieu des tenues colorées que l'impératrice affectionnait tant. Ses oreilles, elles, étaient ornées de bijoux et ses lèvres légèrement rouges. Même après trois années à son service, l'écuyer était toujours aussi troublé de reconnaître à la fois les traits de l'homme et de la femme en lui.

Charles se tourna enfin et leurs regards se croisèrent. Le sourire que celui-ci lui lança ne manqua pas de faire balbutier l'écuyer. L'avait-il pris en train de l'observer ? Alexandre s'inclina légèrement pour le saluer, espérant ainsi dissimuler le rouge qui avait dû envahir ses joues.

— Alexandre ! avait lancé Charles en s'approchant de lui à grandes enjambées. J'espérais que le domestique à qui j'ai parlé te trouve rapidement.

— Je suis venu dès qu'il m'a dit que vous m'attendiez, Monsieur.

Une main sur son épaule lui fit relever la tête. Le chevalier le dévisageait d'un air presque timide.

— Charles... murmura-t-il si bas qu'Alexandre crut pendant un instant que son imagination lui avait joué un tour. Tu peux m'appeler Charles, tu sais ? Il n'y a que nous, ici...

Il avait déjà prononcé ces mots la veille dans la loge.

Les souvenirs se rappelèrent à Alexandre avec force. L'impression que le chevalier ferait tout pour le protéger, la façon dont il l'avait attiré à lui pour l'aider à rester debout, l'instinct de protection que lui-même avait ressenti et qui avait redonné de la force à ses muscles endoloris...

Ce qu'il n'avait pas entendu la veille dans la voix du chevalier, il le voyait aujourd'hui dans ses yeux. Il le suppliait presque de l'appeler par son prénom. Il y avait quelque chose derrière cette supplique, une vulnérabilité qui réveillait en lui son envie de le protéger. Charles ne montrait toujours qu'un masque d'assurance, de force et de bonne humeur au monde entier. Les occasions où il osait se mettre à nu étaient rares. Pourtant, il n'hésitait jamais en la présence de son écuyer. Et celui-ci ferait tout pour que son maître se sente toujours à l'aise avec lui.

Mais l'appeler par son prénom ? Cette familiarité n'allait-elle pas abreuver son imagination de plus d'illusions encore ? Et puis, Gaïa l'avait enlevé car elle savait que Charles viendrait à son secours. Il ne ferait que le mettre un peu plus en danger s'il acceptait de réduire encore la distance qui les séparait.

Il ne pouvait pas se permettre d'être faible.

— Je... je ne suis pas sûr d'y arriver... Monsieur.

Les Amours du Chevalier d'ÉonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant