8. À pas de loup

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Alexandre avait l'habitude de suivre le chevalier dans ses missions, mais il n'avait jamais eu autant l'impression d'être hors-la-loi. Peut-être était-ce parce qu'habituellement, ces missions étaient sanctionnées par le roi lui-même et que c'était loin d'être le cas en cet instant.

Ils traversèrent de longs corridors uniquement éclairés par la lumière bleutée et inquiétante de la pleine lune. Avec toute la cour assemblée dans la salle de bal, nul besoin en effet de garder les lustres allumés. Cela ne faisait qu'ajouter à la désagréable sensation de transgression qui le prenait à la gorge. L'écuyer aurait pu se croire dans un mauvais rêve si le poignard qui rebondissait contre sa hanche ne venait lui rappeler que le danger était bien réel. Le moindre faux-pas ce soir pourrait coûter la tête à son précieux chevalier.

Durant la marche jusqu'au cabinet du vice-chancelier, Alexandre constata à nouveau à quel point ce palais était vaste. Lui qui avait passé un peu plus d'une année à étudier le labyrinthe qu'était Versailles n'aurait jamais cru que l'Homme puisse construire quelque chose de plus grand et de plus complexe. Chaque jour supplémentaire passé à Saint-Pétersbourg lui rappelait à quel point cette idée était erronée.

Il estima qu'il allait leur falloir environ une quinzaine de minutes pour arriver dans l'aile qui desservait les quartiers des dirigeants. Là-bas, tout était encore plus grandiose et les couloirs étaient éclairés à tout moment de la nuit car il y avait toujours de l'agitation. Ce serait le cas ce soir également, mais Gaïa avait parié sur le fait que tout le monde serait au bal et la plupart des gardes réquisitionnés pour l'occasion. Le couloir ne serait pas vide, mais il le serait suffisamment pour trouver l'occasion d'ouvrir la porte du cabinet du vice-chancelier sans que personne ne les observe de trop près.

Tout s'était déroulé au mieux jusqu'à présent. Pourtant, Alexandre ne pouvait se départir de l'impression qu'ils étaient surveillés. Il fermait la marche et n'avait cessé de se retourner pour scruter les ombres derrière eux, persuadé de sentir le poids d'un regard entre ses omoplates.

Un sentiment de soulagement lui desserra la poitrine lorsqu'ils arrivèrent à destination et que l'obscurité recula enfin.

Après avoir monté un escalier en marbre noir et blanc habillé de velours rouge, ils s'arrêtèrent à côté d'une porte vitrée qui leur offrait une vue imprenable sur le long couloir desservant les différents quartiers des aristocrates les plus éminents de la cour. Pour y être allé dans la journée, Alexandre savait que la porte qui les intéressait était la troisième sur la droite.

De loin, il pouvait voir un groupe de gardes venir dans leur direction. Ce n'était rien d'inhabituel, une simple ronde nocturne. Ils allaient devoir attendre qu'ils soient passés pour pouvoir à leur tour pénétrer dans le couloir. Il restait cependant aux gardes un bon chemin à parcourir.

Soudain, un frisson remonta tout le long du dos d'Alexandre jusqu'à atteindre le sommet de son crâne. Il se figea. La présence qu'il percevait depuis le début était de retour, il en était certain. Pivotant lentement sur ses talons, il vit un morceau d'étoffe dépasser d'une des colonnes qui encadraient l'entrée de l'escalier.

Alors qu'ils étaient tous les trois restés concentrés jusque-là, son mouvement attira l'attention de ses deux compagnons. Charles posa une main qui se voulait rassurante sur son bras.

— Qu'y a-t-il ?

— Je crois qu'on nous suit, murmura-t-il sans quitter le morceau d'étoffe des yeux.

Charles et Gaïa scrutèrent la direction qu'il leur indiquait du bout du menton.

— Nous ferions mieux de nous en occuper maintenant, dit le chevalier d'une voix grave. Si nous calculons bien notre coup, nous pourrions avoir le temps de l'attraper, de l'interroger puis de laisser les gardes l'emmener.

Les Amours du Chevalier d'ÉonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant