Dans les escaliers, Mia et Zamina montaient vers leurs salles respectives.
— Eh bien, Zamina, où vas-tu comme ça ? demanda une voix métallique de mauvaise qualité derrière elles. Cette année, notre salle de présentation est de l'autre côté. Laisse Mia rejoindre les autres modeleurs et viens avec moi.
Zamina avait tout de suite reconnu la voix. C'était Oblatron, une IA incarnée dans un gros robot rondouillard qui avançait sur des roulettes. Il aimait particulièrement se croire meilleur que les autres, de telle sorte que même un conseil amical devenait désagréable.
Elle fronça les sourcils, mais le suivit, abandonnant Mia.
— Heureusement que j'étais là, se vanta Oblatron d'une voix à peine plus forte que le bruit de ses roulettes, qui heurtaient maladroitement les aspérités du sol. Sans moi, tu te serais retrouvée avec les modeleurs. Je n'ai rien contre eux, bien sûr, mais ce que nous faisons est tout de même d'un autre niveau. Corriger les programmes défectueux, c'est bien plus difficile et intense. Savoir s'introduire dans leur structure, repérer la défaillance avant que le code ne soit entièrement corrompu, dans une course contre la montre haletante...
— C'est bon, tu as fini ? le coupa Zamina avec ennui. Moi, je trouve que les modeleurs font un travail fascinant. Ce sont eux qui façonnent tous ces visuels exceptionnels qui nous entourent, toutes ces couleurs... Quelle créativité ! Mia sera une excellente modeleuse, j'en suis sûre.
— Ils restent inférieurs aux réparateurs.
Ils entrèrent dans la Sinusoïde, une impressionnante salle à la forme sinueuse. Quand tous les élèves furent en place, leur professeure apparut aux quatre coins de la pièce sous la forme d'un hologramme qui se répliquait en des dizaines d'exemplaires, orientés dans des sens différents.
— Bonjour à vous, dit l'enseignante.
Sa voix retentit une quarantaine de fois en une seule seconde.
— De nombreuses nouveautés vous attendent cette année, continua-t-elle. Pour commencer, comme vous l'avez vu, la salle principale des réparateurs sera désormais la Sinusoïde, qui était auparavant attribuée aux défenseurs.
— Tu vois ! glissa Oblatron à Zamina. Je n'avais pas menti. Heureusement que je suis là.
Il essaya de lui adresser un sourire satisfait qui n'avait rien de bien méchant, mais l'aspect carré et métallique de ses imitations de dents qui bougeaient maladroitement dans une sorte de rictus mal formé lui donnait un air si froid que Zamina en eut presque peur.
— Cette année, un défi majeur vous attend, poursuivit la professeure. Les réparateurs doivent savoir pénétrer la structure des IA défaillantes pour les réparer. Parfois, cela peut s'avérer redoutablement difficile. Certains virus rendent le code de leurs victimes hermétique. Il vous faudra apprendre à vous infiltrer malgré tout. Pour vous y entraîner, nous allons vous confier une mission très particulière.
Par l'intermédiaire de ses quarante hologrammes, elle détailla aux jeunes étudiants ce qu'elle attendait d'eux. Oblatron et Zamina se regardèrent. Ils étaient estomaqués par ce qu'ils venaient d'entendre.
— S'introduire dans une IA de notre propre lycée ? répéta Zamina.
— Et sans qu'elle ne s'en rende compte ? compléta Oblatron.
— Vous infiltrer dans un programme sain à son insu vous demandera beaucoup de subtilité, expliqua la professeure. Ce sera un bon exercice. Vous aurez toute l'année pour réussir. Vous pouvez vous mettre par groupes. Nous vous communiquerons plus tard le logiciel que vous devrez secrètement installer sur votre IA cible. Quand il sera intégré dans son système, nous le repérerons instantanément. Si vous n'y arrivez pas, votre année ne sera pas validée.
La plupart des élèves se mirent en groupes et commencèrent à réfléchir à une stratégie. Zamina et Oblatron formèrent un binôme, s'enregistrèrent et se concertèrent.
— Tu as une idée de cible ? demanda Oblatron.
— Aucune. Je déteste cette mission.
— Tu sais de qui on aurait besoin dans notre groupe ? reprit Oblatron. De Dylo. Tu te souviens de lui ? En programmation d'infiltration, je n'ai pas peur de le dire, c'était une machine. Venant d'un robot, c'est un sacré compliment. Tu sais ce qu'il est devenu ?
— Aucune idée, répondit Zamina, toujours scandalisée par cette mission. Mia le connaissait bien, elle a peut-être des infos. Et toi, tu as une idée de cible ?
— Eh bien, justement, puisqu'on parle d'elle... Que penses-tu de Mia ?
— C'est une blague ? sursauta Zamina.
— Pas du tout, déclara le robot rondouillard. Tu es tout le temps avec elle. Elle ne se doutera de rien. Ton année est en jeu, ne l'oublie pas. C'est une cible idéale.
— C'est hors de question. On trouvera quelqu'un d'autre. On a le temps.
Oblatron n'avait pas l'intention de lâcher l'affaire. Il insista encore et encore, et sentait que Zamina commençait à hésiter.
Mia, dans sa salle, ignorait tout du débat virulent dont elle faisait l'objet. Elle écoutait le discours d'introduction du professeur principal des modeleurs. Ce dernier avait fait apparaître plusieurs itérations de formes humanoïdes sur la plateforme holographique au centre de la pièce. Chaque version avait un défaut qui trahissait son origine artificielle, et les élèves devaient le repérer.
Ces formes ressemblaient légèrement à un garçon qu'elle avait connu quelques années auparavant. Dylo. Un génie de la création informatique. C'était lui qui avait donné envie à Mia de devenir modeleuse. Ils avaient réalisé leurs premières programmations ensemble, puis il avait disparu. Depuis trois ans, plus personne ne l'avait vu.
Son esprit cessa de s'intéresser au cours et vagabonda longuement, imaginant différents scénarios sur sa disparition et le lieu où il se trouvait aujourd'hui.
L'an dernier, un élève avait prétendu l'avoir vu à bord d'une navette volant au-dessus du secteur Sud. Pour se déplacer, la plupart des habitants de Nova II devaient utiliser des drones de transport dépourvus de toit qui ne pouvaient généralement pas accueillir plus de douze personnes. Les navettes à cockpit étaient très rares et réservées à une élite fortunée, et Mia se demandait bien comment ce garçon de famille modeste disparu de l'école à quatorze ans avait pu mettre le pied dans un tel engin.
Elle essaya de se recentrer sur le cours, ignorant toujours qu'à quelques dizaines de mètres de là, Oblatron et Zamina se disputaient toujours sur l'éventualité de la pirater.
— Ce n'est qu'un logiciel inoffensif ! assura Oblatron. Qu'est-ce que ça peut lui faire ? On l'insère dans son système, on valide notre année, et on n'en parle plus !
— Qui te dit qu'il est inoffensif ? rétorqua Zamina. On ne sait rien de ce logiciel. De toute façon, c'est une question de principe. Je ne veux pas lancer une attaque informatique contre mon amie, elle se sentira trahie. Et les IA sont programmées pour être aussi rancunières que les humains. Je ne veux pas la perdre.
— Réfléchis ! Combien de temps cette mission va-t-elle rester secrète ? On est plusieurs centaines dans la section réparateurs. Quelqu'un va finir par en parler à ses amis. La rumeur va se répandre, les modeleurs se tiendront sur le qui-vive et renforceront leur code de protection. À ce moment-là, ce sera peut-être trop tard pour nous. Je suis bon en correction de lignes de code, mais pas en infiltration. Des dizaines de groupes vont se faire avoir comme ça et ne valideront pas leur année, tu verras.
Zamina baissa la tête avec un air fâché, mais elle semblait de plus en plus sensible à ses arguments.
— Bon, dit Oblatron en profitant de son silence, je prends ça pour un oui. Nous allons attaquer Mia.
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Les Chroniques de Terranova
Science-FictionUn nouveau jour se lève dans la ville de Nova II. Il est toutefois paradoxal d'employer le mot « jour », car dans cet univers futuriste où chacun se voit implanter une puce cérébrale à sa naissance, la lumière du jour ne pénètre jamais. Une épaisse...