La journée suivante était laissée libre aux élèves pour leur donner le temps d'assimiler les nouvelles informations et de planifier leur année. Bien peu cependant l'utilisaient dans ce but, et Mia, Zamina et Jeff, comme la majorité des autres lycéens, se dépêchèrent de se retrouver pour aller au centre-ville.
Les pourparlers tranchèrent pour une sortie au cinéma. Mais ce n'était là qu'une demi-décision, car les cinémas offraient désormais tant de possibilités et de technologies différentes qu'il était encore nécessaire de se mettre d'accord sur de nombreux points.
— Vous préférez un film sur écran ou en espace ? demanda Jeff.
Les films en espace rencontraient un certain succès ces derniers temps. Dans une salle couverte de murs-écrans qui affichaient le décor, des hologrammes projetaient les personnages aux quatre coins de l'espace, sol et plafond compris, afin qu'ils jouent les scènes en se déplaçant tout autour des spectateurs. Le concept prétendait offrir aux clients l'impression d'être propulsés dans cet écran, et leur permettre d'assister non pas à une histoire, mais à une scène réelle.
— Pas un film en espace, asséna Zamina. On ne sait jamais où regarder, on se retourne toutes les trois secondes et on finit avec un torticolis. Je n'arrive jamais à suivre le scénario. Je rate toujours la déclaration capitale d'un personnage parce que je regarde ailleurs. Allons voir un film sur écran.
Le complexe cinématographique comprenait quatre-vingt-huit salles sur plusieurs dizaines d'étages. Mia et ses amis se déplacèrent d'ascenseur en ascenseur à travers l'interminable bâtiment, se trompèrent de chemin trois fois, et arrivèrent finalement à bon port. Pendant le trajet, ils reparlèrent de l'événement de la veille.
— Tu n'as vraiment rien remarqué avant l'intervention de Jeff ? demanda Zamina à Mia.
— Absolument rien. Cette crapule d'Oblatron s'y est remarquablement bien pris. Je le retiens, celui-là. Ce n'était pas trop difficile de contrecarrer son attaque ?
— Oh, non, je fais de la défense informatique depuis que je suis tout petit ! J'ai appris avec Dylo, vous vous souvenez de lui ? Celui qui a disparu depuis trois ans. Je le connaissais très bien, c'était un génie du code !
— Et tu as dit que cette mission pouvait se faire en groupe, c'est ça ? reprit Mia, qui n'avait pas envie de penser à Dylo maintenant. Personne n'était avec Oblatron ?
— Je n'ai vu personne d'autre, en tout cas, répondit Jeff.
Zamina rougit et détourna la tête.
— Peut-être que son coéquipier n'était tout simplement pas là hier, dit Mia.
— Je pense qu'il était tout seul, tenta Zamina. Enfin, je n'en sais rien, mais il n'est pas du genre à faire équipe.
— Mais dis-moi, Zamina, tu es en section réparateurs, toi aussi ! remarqua Jeff. Tu as donc la même mission, non ?
— Hmm... Oui, en effet. Mais, tu sais, quand les profs en ont parlé, j'écoutais à peine...
— Tu as un groupe ? demanda Mia.
— Euh, non, aucun... Je n'y ai pas encore pensé... Est-ce qu'on peut parler d'autre chose ? Vous voulez quel type de film ?
De nouveaux pourparlers s'engagèrent. Il n'était pas facile de savoir à quoi s'attendre, car aucun film ne pouvait être connu à l'avance. Un long-métrage était spécialement généré à chaque séance, puis disparaissait. Personne ne s'en plaignait. Chacun savait qu'il pouvait revenir le lendemain et découvrir une autre production unique tout aussi convaincante que la précédente.
On aurait pu croire que la génération automatique de films constituerait une entrave à l'innovation cinématographique, ayant pour conséquence une trop grande similarité dans la structure scénaristique des œuvres. On aurait aussi pu penser que le public se lasserait vite de ces films utilisant les mêmes ressorts visuels légèrement modifiés, comme des itérations infinies d'un même spectacle. Le Département de recherche et développement de Terranova avait cependant trouvé la parade.
Grâce aux implants cérébraux présents en chaque humain, il avait mesuré la satisfaction des spectateurs pendant plusieurs décennies en interceptant les signaux chimiques et électriques du cerveau. Il avait minutieusement enregistré la baisse progressive d'excitation, de mois en mois, puis d'année en année, par rapport aux différents stimuli que procuraient les films – intrigue, retournements de situation, répliques choc, effets visuels, etc.
Grâce à cela, il fut en mesure d'établir une moyenne de la vitesse d'apparition de la lassitude, qu'il traduisit en équation mathématique, avec une courbe d'intérêt et un point de non-retour à l'approche duquel les logiciels devaient générer des nouveautés conséquentes. Ce schéma mental type permettait de prédire la durée de vie des modes cinématographiques et de les réinventer automatiquement. De nombreux essais avaient démontré quelles nouveautés fonctionnaient, lesquelles étaient en mesure de relancer l'intérêt des spectateurs, et lesquelles leur paraissaient trop farfelues ou peu convaincantes.
— Allons dans une salle de films personnalisés, proposa Zamina. Comme ça, tout le monde sera content.
Ils en trouvèrent une rapidement et s'installèrent. Ces salles proposaient un service encore différent. Chacun pouvait faire une demande précise sur une petite tablette attachée à son siège. Jeff s'assit et écrivit « film d'explorateurs spatiaux avec enquête policière ». La machine afficha le message suivant : « Trente-deux personnes ont fait une demande proche au cours des trois derniers mois. Désirez-vous consulter leurs requêtes pour affiner la vôtre ? »
Jeff refusa et enfila les lunettes spéciales reliées à la tablette. Zamina, qui avait demandé un film humoristique, chaussa les siennes.
Les œuvres personnalisées furent générées. Les lunettes captèrent les informations visuelles de l'écran, les adaptèrent et les retransmirent à leur porteur. Mia n'en avait pas besoin : son système avait fait sa demande directement sur la plateforme en ligne dédiée et ses yeux holographiques se chargèrent d'ajuster les informations visuelles.
Après plus de deux heures, chacun se leva et raconta son film.
— Ce serait bien si les films pouvaient être conservés, dit alors Mia. Vous n'avez jamais eu envie d'en revoir un ?
— En revoir un ? répéta Jeff sans comprendre. Tu veux dire, à l'identique ? Au mot près ? Pourquoi ?
— Je ne vois vraiment pas l'intérêt, appuya Zamina. Pourquoi regarder deux fois le même film ?
— Eh bien, pour retrouver les émotions qu'il nous a données ! répondit Mia.
— Dans ce cas, inutile de revoir exactement le même, un film différent mais d'un style similaire fera l'affaire, objecta Jeff. Quand on se retrouve entre amis, est-ce qu'on reproduit à l'identique notre dernière conversation, au mot près ? Bien sûr que non. Ça n'aurait aucun sens. On a une nouvelle discussion tout en gardant le même humour.
— Je suis d'accord, acquiesça Zamina. Conserver un film ne sert à rien. À propos de nouveauté, et si on visitait un endroit où on n'est jamais allés ? J'ai entendu parler cet été d'un passage qui mènerait vers un ancien souterrain abandonné, ça vous dit ?
Le groupe réfléchit quelques instants, puis fut interrompu quand Mia vit Oblatron passer non loin d'eux.
— Il vient retenter sachance ? s'inquiéta-t-elle. Vite, déguerpissons !
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Les Chroniques de Terranova
Science-FictionUn nouveau jour se lève dans la ville de Nova II. Il est toutefois paradoxal d'employer le mot « jour », car dans cet univers futuriste où chacun se voit implanter une puce cérébrale à sa naissance, la lumière du jour ne pénètre jamais. Une épaisse...