9. Les griffes de la Culpa

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Pala'i se dirigea vers le minuscule lit d'appoint qu'elle s'appropriait à chacune de ses visites, et entreprit de le rendre plus accueillant en retirant les livres poussiéreux et armes de toutes sortes que Kiran semblait avoir entreposé ici en l'absence d'Oriana. Pendant ce temps, celle-ci retourna dans la salle d'eau, vida le cuvier, éteignit les bougies et vérifia les issues. La mercenaire restait toujours, toujours sur ses gardes.

Une fois de retour dans leur chambre, elle écouta l'adolescente palabrer à un rythme précipité. Pala'i était particulièrement bavarde ce soir, comme si elle cherchait à rattraper en une soirée les quelques semaines passées loin de sa mentore. Oriana l'écoutait attentivement, tantôt attendrie, tantôt scandalisée par la conduite de la jeune fille et de ses paires ; tout en faisant rebondir ses boucles frisées et encore humides entre ses doigts.

Ses paupières picotaient et se fermaient à demi lorsque l'adolescente termina enfin son récit par les dernières frasques rocambolesques de Maina et Yulian. Les jumelles, du même âge que Pala'i, étaient elles aussi apprenties auprès des Guérisseuses, et avaient un don pour s'attirer les ennuis les plus inconcevables les uns que les autres. Et au grand dam d'Oriana, Pala'i avait des étoiles dans les yeux lorsqu'elle contait leurs méfaits.

Surtout ceux de Yulian, d'ailleurs. À mesure que les mois passaient, le jumeau semblait capter l'attention de la jeune fille de façon exponentielle ; et Oriana se demandait s'il était temps d'aborder les conversations sur la sexualité —et la contraception, si cela devait s'avérer utile. À entendre Pala'i, elle semblait en savoir déjà beaucoup grâce à ses petites camarades... mais les rumeurs entre adolescentes ne reflétaient pas forcément la réalité, et elle tenait à ce que la jeune fille bénéficie de vrais conseils et d'une prévention correcte.

— Et toi alors, raconte ! pressa l'adolescente.

Oriana tombait de fatigue, perdue dans ses pensées, et la tentation de feindre un ronflement était grande. Mais elle devait admettre qu'elle adorait voir les réactions de l'enfant à ses récits d'aventures aux quatre coins du Continent. Elle se redressa dans son lit et s'adossa contre le mur.

— Très bien. Mais après, extinction des feux !

Elle mima un semblant d'autorité, le doigt en l'air, en attente de l'accord de la principale concernée.

— Bien entendu, répondit Pala'i d'une voix trop mielleuse pour être honnête.

Mais bien sûr.

Oriana plissa les yeux pour lui montrer qu'elle voyait clair dans son jeu, mais n'insista pas et débuta son récit. Ses talents de conteuse étaient indéniables. Elle savait enjoliver la réalité, faire varier l'intonation de sa voix, jouer avec le suspens et la tension, marquer des pauses pour faire grimper la curiosité de son audience, accompagner sa parole de gestes pour accentuer son propos... Si son peuple n'avait pas été en guerre, elle aimait à croire qu'elle aurait pu gagner son pain en voyageant de village en village, narrant des épopées incroyables au coin d'un feu, à qui voudrait l'entendre.

Bien entendu, elle édulcorait les détails trop sanglants ou matures pour les oreilles innocentes. Elle s'amusait des réactions exagérées de la jeune fille, et pendant un bref instant, sa mémoire lui rappela une autre paire d'yeux qui la regardaient avec la même admiration lors de ses récits, des années auparavant. Cette vision la troubla, mais elle n'en laissa rien paraître. Elle se contenta de triturer pensivement le petit miroir accroché à son cou en guise de pendentif.

Oriana ponctua les dernières phrases de sa narration par des bâillements de plus en plus longs. Les deux Mutticas avaient tellement parlé que ses cheveux étaient désormais secs, et elle n'avait plus aucune énergie.

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⏰ Dernière mise à jour : May 31 ⏰

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