7. Sept mercenaires

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Les kassurus galopaient à vive allure sur la piste qui contournait Æpictia par les champs, à l'est. Le petit groupe de sept cavalières progressait à une allure soutenue. À leur tête, une femme à la peau sombre, juchée sur un animal auburn menait le groupe. Les longues tresses noires qui s'échappaient de son casque se confondaient avec sa brigandine en cuir de la même teinte. Elle inclina légèrement sa trajectoire et se dirigea jusqu'au sommet d'une colline coiffée de cyprès et d'une maisonnette en pierre.

Une fois arrivée, ses doigts affermirent leur emprise sur la bride, obligeant sa monture à s'arrêter. Elle aurait pu reconnaître cet endroit entre mille. À chaque retour de mission, elle aimait profiter de ce panorama familier avant de rentrer chez elle. Depuis ce promontoire, elle pouvait enfin apercevoir les premières chaumières biscornues de son pays natal. La Landgacia.

Autrefois, cette province vaste et fertile s'étendait à perte de vue, avec pour seules frontières naturelles les versants escarpés des Kapitses à l'est, et l'océan infini au sud. Mais la jeune femme avait toujours connu son pays tel qu'il était aujourd'hui : un étroit territoire, grignoté au fil des siècles par un Empire toujours plus avide de conquêtes.

Partout où son regard se posait, des bribes de souvenirs, de sensations et d'émotions électrisaient tout son corps.

Réconfort. Après des semaines passées en mission dans des contrées lointaines, elle avait bien mérité son retour au bercail, le confort d'un lit et l'assurance d'un toit au-dessus de sa tête. Douce nostalgie. Un sourire rêveur étira ses lèvres charnues tandis qu'elle laissait son esprit vagabonder entre des bribes de tendres souvenirs. De la forêt de Mirien aux rivages baignés de soleil et léchés par les vagues langoureuses de l'océan, jusqu'au labyrinthe de ruelles autour de sa maison, terrain de jeu idéal pour les enfants. Ses papilles s'activèrent en imaginant déjà le goût de la belavrina, le fameux bouillon de plantain qui faisait la fierté de son père. Impatience. Elle avait hâte de retrouver ses proches, et savoir ce qu'elle avait manqué en son absence. Fierté. Lire la satisfaction dans les yeux de la Guide lorsqu'elle constaterait le contenu de sa cargaison, et la réussite de sa mission.

Puis son regard se posa sur les remparts menaçants d'Æpictia, et son cœur se serra.

Amertume. Elle fronça le nez, anticipant déjà l'odeur nauséabonde qui imprégnait les rues de son quartier. Manque. Le tiraillement par la faim, le soir avant de s'endormir le ventre presque vide, lorsque les vivres venaient à manquer. Honte. Être forcée de baisser les yeux et courber l'échine dès qu'une garnison æpictienne patrouillait un peu trop près. Rancœur. À chaque retour de mission, une fois l'exaltation retombée, elle avait l'impression de suffoquer, de perdre sa liberté, loin des étendues sauvages qu'elle aimait parcourir au galop. Culpabilité. Elle s'efforça d'éviter de regarder vers la falaise, dans le lointain, au pied de laquelle son peuple faisait un dernier adieu à ses défuntes. Terreur blanche. Un frisson glacé parcourut sa colonne vertébrale à l'idée qu'un malheur se soit abattu sur quelqu'un en son absence.

Elle était heureuse de revenir, mais elle savait qu'à peine posé le pied chez elle, elle voudrait déjà repartir.

Les cavalières l'avaient toutes suivie jusqu'au sommet de la colline. L'une d'elles atteint son niveau au petit trot, l'arrachant à sa contemplation :

— Ash' !

La meneuse se tourna vers elle et lui offrit un mince sourire. Si sa comparse remarqua la mélancolie qui commençait déjà à la gagner, elle n'en montra rien. À la place, elle reprit la parole d'un ton enjoué, tout en flattant l'encolure humide de transpiration de sa monture :

InhibitionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant