15 ANS PLUS TARD
Juste s'apprêtait à quitter le Palais Impérial pour rejoindre les arènes de la Capitale. D'un geste nerveux, il replaça la toge blanche sur ses épaules, par-dessus sa tunique, avant d'y épingler une fibule dorée pour maintenir le tissu en place. Il n'était guère enthousiaste à l'idée de se rendre à la troisième et dernière journée de la Cérémonie de Soumission. Mais il n'avait pas le choix : son statut imposait désormais certaines responsabilités. Dans un soupir résolu, il sortit de ses appartements somptueux, et parcourut d'un pas docile le dédale de couloirs du palais, ses sandales en cuir claquant contre le marbre blanc de Phorius. Il ne prêtait plus attention aux proportions colossales des colonnes couvertes d'or et des voutes en pierre noble, qui l'avaient tant impressionné, autrefois, lors de sa première visite. Ni aux fresques et tapisseries à la gloire de l'Empire d'Æpictia, illustrant toutes les batailles victorieuses remportées par sa vaillante armée. Il n'était plus qu'un témoin blasé par tout le faste déployé par l'Empire pour asseoir sa domination militaire, culturelle, religieuse et économique sur tout le Continent.
Juste franchit un patio ombragé, orné de bougainvilliers tricolores et d'arbres fruitiers, saluant quelques connaissances et dignitaires hauts-gradés. Sa litière l'attendait devant les portes de l'aile nord du palais, où il résidait depuis quelques mois. Quatre kassurus étaient harnachés au véhicule en forme de lit, posé sur des essieux en métal qui supportaient chacun deux roues. Ces équidés à la silhouette longiligne étaient domestiqués depuis plusieurs millénaires et utilisés pour les déplacements, ainsi que pour différents travaux grâce à leur force exceptionnelle. Un domestique veillait sur l'attelage, tête baissée vers le sol, patientant en silence.
— Aux arènes, je vous prie, intima Juste d'une voix faussement assurée.
Le domestique acquiesça en évitant soigneusement de croiser son regard. Il disposa un marche-pied sous la litière pour que son maître puisse s'y glisser aisément. Une fois à l'intérieur, l'homme tira les rideaux pour se soustraire à la vue des manants, et s'allongea sur les fines étoffes. La carriole s'ébranla, dirigée par le domestique, et il fut bientôt bercé par le mouvement régulier et le son des sabots sur les pavés de la ville. Il redoutait ces instants de répit, où il demeurait seul face à ses pensées. Sur le papier, Juste Negenam avait tout pour se satisfaire de son existence. À la mort précoce de son père, il avait été pris en pitié par l'Empereur lui-même. Il avait reçu la meilleure éducation, et développé de puissants pouvoirs qui lui permettaient d'aider son prochain. Il y a quelques années, sa loyauté et sa piété avaient porté leurs fruits : à peine âgé de 27 ans, il était devenu le plus jeune Mage de Premier Ordre jamais nommé. Dans la société impériale, c'était l'un des plus hauts niveaux de hiérarchie, symbolisé par les bordures de couleur pourpre de sa toge. Ce statut lui avait ouvert les portes du Palais Impérial, et il avait alors fait la connaissance de Cæcilia. Depuis l'annonce de ses fiançailles avec elle, quelques mois auparavant, il avait désormais tout ce dont il aurait pu rêver. Il était en sécurité. Il était important.
Alors pourquoi ressentait-il ce vide sombre et froid, quelque part au fond de son cœur ?
Un soubresaut de l'attelage l'arracha à sa mélancolie, et il se reprit aussitôt. Il ne devait pas laisser d'obscures émotions envahir son âme. C'était interdit par l'Empire, et comme tout ce qui était interdit par l'Empire, c'était... dangereux.
— Seigneur Negenam, nous approchons des arènes, informa le domestique installé à l'avant de la litière, sa voix étouffée derrière le rideau qui les séparait.
Juste se redressa et entrouvrit un pan de tissu pour estimer où ils se situaient. Les arènes se trouvaient à l'est de la ville, tout près des fortifications, dans un quartier populaire. L'odeur était nauséabonde : un mélange d'alcool, de transpiration, d'urine humaine et de déjections des troupeaux de bétail qui déambulaient sur les marchés. Cela ne l'importuna pas outre-mesure. Étant médecin, il avait vu — et reniflé — bien pire, et le dégoût ne devait jamais l'envahir. De même que la compassion ou la colère. Il était crucial, dans son métier encore plus qu'ailleurs, de rester neutre et focalisé sur les soins qu'il devait prodiguer à ses patients.
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Inhibition
Fantasi"Ce sont nos émotions qui nous rendent humains." ___ Juste, mage modèle respecté de l'Empire, avait tout pour mener une vie parfaite. Sa loyauté et son sens moral l'ont propulsé aux portes du pouvoir dans une autocratie où le stoïcisme fait loi. Ma...