Chapitre 23 - Falco

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Le bras d'Irina autour du mien, nous marchons depuis l'appartement pour nous rendre en cours. C'est vraiment le truc le plus chiant dans cette mission. Rester le cul vissé sur un putain siège inconfortable à écouter des conneries de profs soporifiques à longueur de journées. Heureusement que je me défoule pour cet enfoiré de Garcia, le chef du cartel mexicain. Certains des types que j'oblige à cracher la monnaie se prennent quelques mandales avant même que je me sois présenté. Espérons que ça leur serve de leçon et qu'ils arrêteront de faire des paris stupides auprès de gens dangereux. Bien que je ne me leurre pas. Ce genre de mecs, tu leur briserais les deux genoux qu'ils continueraient à penser qu'ils peuvent se refaire sur un prochain combat.

— À quoi tu penses ? me demande Irina.

— À rien en particulier.

— Tu as toujours été aussi silencieux ? Enfant, je veux dire.

— Ouais.

— Tes sœurs sont comme toi ?

— Absolument pas. Si ça se trouve maintenant que j'y pense, elles sont fautives de mon comportement. Je ne m'épanche pas parce qu'elles monopolisaient tellement la parole que je ne pouvais jamais en placer une.

Irina se met à rire et comme à chaque fois, je la trouve plus belle que jamais à cet instant. Quand je suis à l'origine de sa bonne humeur. Je déteste la tournure que prennent mes pensées depuis trois semaines. Irina me fait ressentir des choses que je ne parviens pas à identifier. Tout ce que je vis avec elle m'est étranger. On s'envoie en l'air à la moindre occasion. Elle suit mon rythme effréné, mais elle m'a aussi montré ce que c'était que de faire ça de manière plus calme. Pour la première fois de ma vie, j'ai entrevu ce que voulait dire faire l'amour. Et ce mot m'effraie bien plus que lorsque je me retrouve avec un flingue pointé sur la tempe. D'autant plus que j'ai aimé ça aussi. Prendre mon temps, apprécier chaque seconde de notre étreinte, l'embrasser sans m'arrêter alors que nos corps ne faisaient plus qu'un. Je n'aurais jamais dû accepter d'essayer, mais maintenant que c'est fait, j'aime finir sur cette note plus douce après nous être déchaîné. J'ai conscience que tout ça n'augure rien de bon. Je ne maîtrise plus la situation et je doute qu'elle nous mène vers quelque chose de positif. Déjà que son paternel voudra me crever pour avoir osé la toucher, j'aurai carrément le droit à une séance de torture s'il apprend qu'il est question de sentiments. Si j'avais voulu que ce soit sérieux entre nous, il aurait fallu que je fasse ça dans les règles. Lui demander son accord avant de me glisser avec elle sous les draps.

— Tu ne parles jamais de ton père.

— Tu es bien curieuse ce matin.

— J'ai envie de mieux te connaître.

— Il me semble que tu en sais autant que moi à ton sujet.

— Qu'est-ce que tu veux savoir ? Je n'ai rien à cacher, je répondrai à tes questions.

— C'est toi la curieuse dans notre duo, pas moi.

— Oh parce que nous formons un duo maintenant ?

Oulah, cette conversation prend pile la tournure que j'essaie d'éviter. Nommer ce que nous partageons. J'ignore comment je vais pouvoir tenir toute l'année scolaire en bottant en touche, mais il va me falloir trouver un stratagème. Il faudrait que je puisse demander conseil à mes sœurs, mais ça signifie leur révéler pour Irina...

La sonnerie de mon téléphone me sauve. Je souris à celle qui n'a pas conscience d'avoir foutu un bordel monstre dans ma vie, comme si j'étais désolé d'interrompre notre discussion.

— Tu ne perds rien pour attendre, me lance-t-elle.

Lorsque je vois le nom de mon père s'afficher, je m'arrête.

— Va en cours, je te rejoins.

Irina hoche la tête et me laisse tranquille pour prendre mon appel.

— Oui ?

— Fils, comment ça va ?

— Rien à signaler.

Mentir à mon père, mon chef, est la meilleure façon de raccourcir mon espérance de vie.

— Avant que j'oublie, je veux que tu appelles ta mère aujourd'hui. C'est un ordre que je ne devrais pas avoir à te donner.

— Ouais, j'ai été un peu pris ces derniers jours et j'ai oublié. Je le ferai.

— Qu'est-ce qui t'occupe autant ?

— Garcia, m'enfoncé-je dans le mensonge.

— Bien, c'est une bonne nouvelle. S'il te file plus de boulot, c'est que tu réussis à faire tes preuves et à gagner sa confiance.

— Tu en doutais ?

— Ce n'est pas facile de berner un homme qui arrive en haut de la hiérarchie d'un clan.

— Je suis le fils de l'un d'eux, ça doit aider.

— Est-ce que ça veut dire que tu es déjà parvenu à me berner, moi ?

Putain, mais je suis le roi des cons !

— Uniquement pour des broutilles lorsque j'étais gamin, me raccroché-je aux branches.

Un silence s'installe et ce n'est jamais bon avec lui. Il est en train de se refaire nos dernières discussions, à analyser chaque mot que j'ai pu émettre.

— Comment va Irina ?

Voilà ! Qu'est-ce que je disais ! Il veut tester mes réactions et l'intonation de ma voix.

— Toujours à fond dans ses études.

— Tu arrives à la suivre sans éveiller ses soupçons ?

— Le fait de suivre le même cursus aide et j'ai installé dès la rentrée sur son téléphone le logiciel qui me permet de la localiser depuis le mien.

— Son père m'a appelé tout à l'heure.

La mention de Yourenev fait tressauter ma mâchoire. Un jour ou l'autre, il apprendra pour sa fille et moi.

— Il m'a dit qu'Irina lui a semblé très joviale au téléphone. Il pense qu'elle fréquente quelqu'un.

Je ne réponds pas pour la simple et bonne raison que je ne sais pas quoi dire.

— Est-ce que tu sais quelque chose à ce sujet ?

— Ecoute, on en a parlé avant mon départ. Il n'était pas prévu que je la surveille sur ce plan-là.

— Les missions évoluent, tu le sais.

Mon père ne doit pas louper l'inspiration grave que je prends.

— Anton veut des infos sur le type.

C'est pire que ce que j'avais imaginé. Manquerait plus qu'Irina file mon prénom à son père et je suis cuit.

— Tu m'entends ? aboie mon père.

— Oui.

— Je te rappelle dans dix jours. Tâche d'en savoir le plus possible.

— C'est comme si c'était fait, dis-je, étant le seul à pouvoir saisir l'ironie de la situation.

Le ProtecteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant