Chapitre 16

127 21 4
                                    

« Tu as une interview à dix heures avec un magazine sportif et tu enchaînes directement avec deux heures de gymnastique. Perez veut te voir pour ajuster tes menus et je veux que tu fasses une séance de renforcement musculaire. Je t'ai trouvé molle sur tes sauts hier.

Je me suis réveillée il y a moins de dix minutes et Link se trouve déjà dans mon appartement à me débiter le programme de la journée. Je suis fatiguée rien que d'y penser. Il ne me laisse aucun répit...

- Et je mange quand, dans ton programme ? Dis-je d'un ton las en soupirant.

Je n'ai même pas fini mon petit-déjeuner. Ce matin, c'est fromage blanc protéiné et flocon d'avoine : autant dire que c'est du plâtre. Perez, mon nutritionniste, cherche à me faire prendre du muscle en ce moment.

J'ai quitté l'institut Magimel juste après mon été à Castel et sans même passer mon bac, c'était il y a deux ans. Depuis, je vis dans cet appartement beaucoup trop grand pour moi. Il est financé par Delma et la fédération de plongeon et se trouve au dernier étage d'une tour parisienne et chacun des murs extérieures est une baie vitrée. La vue que j'ai sur les toits de Paris est imprenable et pourtant, ça m'ennuie.

L'avantage d'habiter dans cet immeuble, c'est la salle de sport installé à l'étage en dessous du mien et j'y passe toutes mes soirées.

Ma carrière occupe tout mon temps. Comme je l'ai toujours voulu, ma vie est consacrée au plongeon et j'enchaîne les médailles. Je suis généralement très seule mais c'est le prix à payer pour exceller. Lila Quiver est une championne, comme elle l'a toujours voulu.

Ma mère a accueilli mon départ avec grâce et au fond, elle avait attendu ça toute ma vie. Depuis deux ans, je n'ai eu qu'un seul coup de téléphone et c'était l'année dernière pour m'annoncer le décès d'une tante que je n'ai même pas connu. Même Simon s'est fait plus distant mais là, ça n'est pas un choix : il est désormais agent sportif dans une agence et sa carrière est aussi difficile à gérer que la mienne. Nos appels quotidiens se sont transformés en quelque chose d'hebdomadaire et j'ai décidé de ne pas insister. Lorsque Simon décommande nos appels, je sais que c'est parce qu'il a quelque chose de plus important à faire et j'essaie de ne pas le prendre personnellement en me disant que ce n'est pas parce qu'il ne m'aime pas, au contraire.

Clément, lui, ne m'a jamais donné aucune nouvelle. Je suis partie de Castel avec le cœur complètement en morceaux et il a complètement disparu de ma vie. Il faut croire que je n'ai effectivement été qu'une passade pour lui, là où moi j'y ai laissé une partie de mon âme. Pendant des mois, je n'ai été que l'ombre de moi même. Tout mon être n'était que peine et souffrance mais aujourd'hui, c'est terminé. Tout ça ne compte plus, maintenant. Plus rien ne compte. Je ne ressens plus rien pour personne et mon corps est devenu une coquille complètement vide uniquement faite pour plonger.

Voilà où j'en suis aujourd'hui. Je suis une plongeuse professionnelle, une championne qui collectionne les médailles et je n'ai jamais été aussi seule de ma vie.

- Quiver, ne cherche pas la petite bête. Fais ce que je te dis.

Link n'a pas changé. Il est toujours mon coach et mon agent et il a même une assistante. En revanche, quelque chose d'essentiel à changé :

- D'accord pour la gym et le renforcement musculaire. En revanche, tu décommandes l'interview. Perez n'a pas besoin de moi pour ajuster mes menus, il peut voir ça avec toi directement ou avec Loubna. J'ai une photo pour Delma à poster à quinze heures.

Maintenant, c'est moi qui dicte les règles. Il a beau essayer de reprendre le dessus, je suis maintenant le capitaine de mon propre bateau. Je prends son savoir, ses connaissances et je me fiche du reste. Comme prévu, Link acquiesce sans contester tandis que son téléphone sonne à nouveau. Il décroche et s'éclipse dans le couloir tandis que je peux enfin finir mon petit-déjeuner dans le silence.

Cœur de selOù les histoires vivent. Découvrez maintenant