𝟦𝟪. 𝒫𝓇𝑜𝓂𝑒𝓈𝓈𝑒 𝒹'𝒶𝓋𝑒𝓃𝒾𝓇

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Lorsque nous apercevons pour la première fois depuis deux mois le haut des tours immaculées de Ma'la, mon estomac se tord désagréablement sans que je puisse comprendre quelle émotion en est à l'origine. Alors je mets tout sur le compte de la fatigue.

Après tout, la marche à travers le Massif a véritablement été éreintante, interminable. Dès que je pensais en voir le bout, une nouvelle muraille de pierre se dressait devant nous, parfois si impraticable que nous devions faire un détour de deux ou trois jours pour trouver un autre chemin.

Plusieurs fois, des chutes de neige nous ont obligés à rebrousser chemin, parfois c'était l'effondrement de pans entiers de montagnes ou les traces récentes de clans que je n'avais aucune envie de croiser. Ma plus grosse frayeur eut lieu lors d'un éboulement qui a failli emporter Chayyim dans une crevasse. Alors que nous marchions tranquillement, la terre s'est soudainement mise à trembler et la seconde d'après mon compagnon était pris dans une chute de pierres, manquant de disparaître sous des mètres de terre et de branchages. Il n'a dû sa survie qu'à mon réflexe salvateur de me jeter au sol pour l'attraper par la cheville et le tirer de toutes mes forces hors de l'éboulement.

Finalement, plus de peur que de mal, mais sa cape était complètement ruinée alors je lui ai donné celle que je portais depuis notre entrée dans le Massif. Et je ne l'ai plus quitté d'une seule semelle.

Désormais assis sur une butte qui surplombe la plaine menant à Ma'la, je réalise que notre voyage touche à sa fin. Et que cela me serre affreusement le cœur. Demain, nous pénétrerons dans la capitale, Chayyim retrouvera son roi et moi je serai remercié. Dans tous les sens du terme. Une bouffée d'angoisse m'envahit quand je comprends que ce sera peut-être la dernière fois que je le verrai, que plus jamais je n'aurai l'autorisation de lui adresser la parole, que je ne pourrai plus serrer son corps contre le mien ni l'abrutir de plaisir, que la vie reprendra son cours comme si nous ne nous étions jamais rencontré. Parce qu'au fond, le monde n'a pas arrêté de fonctionner pour nous. Que nous soyons ensemble ou non, rien ne changera. Et je déteste cela.

La poitrine comprimée par ces mauvaises pensées, je me rejette sur le dos pour troquer les lueurs vacillantes de Ma'la contre celles des étoiles qui déchirent la voûte céleste. Contrairement aux mois précédents, le ciel est dégagé sur Lem'ha, la nuit claire, la température agréable. Nous pouvons dormir dehors sans craindre de mourir de froid. Voilà au moins un aspect positif qui devrait me réjouir...

— Je voudrais que le jour ne se lève jamais, murmure soudainement Chayyim, assis à mes côtés.

Lentement, je glisse mon regard vers lui et observe la façon dont la lueur froide de la lune découpe gracieusement son profil dans l'obscurité. Une lanière de cuir retient ses cheveux en arrière, dégageant ce visage que j'aime tant.

— Ne soyons pas irréalistes, répliqué-je d'une voix amère, refusant de me laisser aller au sentimentalisme.

J'ignore le regard que mon compagnon pose sur moi et continue de contempler les étoiles en serrant les dents. Si seulement elles pouvaient influencer le cours du temps !

— Je ne vais pas vous abandonner, vous savez ? reprend Chayyim d'une voix sérieuse.

Mon état psychologique ne me permettant pas d'avoir ce genre de conversation, je préfère ne pas répondre. Au fond, je ne doute pas de la bonne volonté de mon compagnon, mais j'ai conscience de la réalité des faits. Rester ensemble ne nous sera pas permis, et si nous souhaitons réellement que cela advienne, nous allons devoir nous battre. Ardemment. Les séquelles ne seront pas nulles. Est-il prêt à prendre ce risque ?

Une main se refermant sur mon avant-bras m'oblige à reporter mon attention sur lui et mes yeux sombrent dans ses orbes étoilés dont j'ai appris à décrypter l'inexpressivité.

Le Dernier OmégaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant