𝟧𝟣. 𝑀𝒾𝓇𝒶𝒸𝓊𝓁é𝓈

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La cacophonie de la foule n'est plus qu'un bourdonnement sourd dans mes oreilles. Sans faire attention où je marche, je fends cette marée d'ivrognes en gardant les yeux rivés sur ma cible, la cœur battant si fort qu'il menace d'exploser.

Ignorant les protestations d'un groupe de combattants, je me jette en avant et referme ma main sur un bras tanné recouvert d'un brassard en cuir. Alors que sa propriétaire s'apprête à se dégager d'un geste brusque, j'apparais devant elle, complètement échevelé et le regard hagard.

— Naya ! m'écrié-je comme un fou.

L'interpelée pose sur moi ses grands yeux noirs, d'abord emplis de mépris puis de surprise et finalement d'un tel soulagement qu'il me donne envie de chialer. En une fraction de seconde, son visage hâlé se décompose sous le coup de l'émotion avant que ses bras musclés ne s'enroulent autour de ma nuque.

— Kahn ! s'exclame-t-elle en retour d'une voix cassée. Kahn, bordel !

Je réceptionne son corps massif contre le mien et le serre de toutes mes forces, enfouissant mon visage dans ses cheveux tressés et mes doigts dans les pans de sa tunique d'homme.

Les larmes au bord des yeux, je l'étouffe contre mon torse, incapable de réaliser que tout ceci est réel, terrifié à l'idée que ce ne soit qu'un rêve. Alors je ne relâche pas mon étreinte, continuant de la tenir dans mes bras pour qu'elle ne disparaisse pas à nouveau sous mes yeux.

C'est elle qui me repousse finalement pour pouvoir me faire face, les joues trempées de larmes.

— Kahn, par tous les dieux, tu sais depuis combien de temps je te cherche ? Je n'arrive pas à croire que tu sois réellement ici... Bordel, où étais-tu ?!

— N... Naya, bégayé-je en stoppant les poings qu'elle abat désormais sur ma poitrine. Je... Je ne peux y croire... C'est vraiment toi ? Mais... Comment ?

— Ça fait plus d'un mois que j'erre dans les faubourgs de Ma'la, continue-t-elle, sourde à mon intervention. Qu'est-ce qui t'as pris autant de temps ? Est-ce que tu réalises la terreur dans laquelle j'étais ? J'ai cru que je ne te reverrai jamais, que je vous avais définitivement perdu ! Et les autres ! Où sont-ils ?

Et soudain, le monde s'abat sur mes épaules. Mon sang se glace dans mes veines tandis que je contemple mon amie d'un air horrifié, incapable de lui annoncer la tragique nouvelle. J'ignore quel a été son destin après l'apparition de la bulle sur Ano'h, mais sûrement n'a-t-elle pas assisté à la mort de nos compagnons... Et depuis, elle n'a cessé de nous chercher et d'espérer nous retrouver. Je ne peux me résoudre à lui briser le cœur.

Sauf que Naya est intelligente. Il ne lui faut qu'un regard vers moi pour comprendre la vérité qui décompose aussitôt son visage.

— Non, murmure-t-elle d'une voix brisée. C'est pas possible...

Je déglutis pour avaler la boule qui obstrue mon œsophage puis me mets à fixer le sol, incapable de supporter l'intensité de ses yeux noirs. Les dents serrées, je subis l'assaut des souvenirs de ce jour-là, le corps décapité de Hassan, Lâa folle de douleur à ses côtés, Ronh qui implose dans les airs. Et une terrible envie de vomir me retourne l'estomac.

— Kahn, reprend Naya d'un ton plus doux. Raconte-moi. J'ai besoin de savoir.

Sa main se pose sur ma joue pour m'inciter à lui faire face mais je ne lui obéis qu'à grande peine. Les traits burinés de son visage sont affreusement crispés, ses lèvres serrées entre elles pour contenir sa tristesse. Alors que, incapable de sortir les mots maudits de ma bouche, j'attrape sa main pour la retirer de ma joue, une silhouette trapue se dresse brusquement entre nous. En une seconde, un bras musclé s'abat sur mes épaules et une lourde odeur de sueur et de sang séché envahit mes narines.

Le Dernier OmégaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant