Chapitre 1

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*Athéna*

En balayant le vieux plancher de la salle à manger, j'écoute la mélodie brutale du piano. Elle s'élève du salon, situé juste à côté. Je m'approche doucement de la porte entrouverte. Le grincement du parquet est couvert par le son du piano. Je m'arrête sur le seuil et regarde discrètement la pièce.

Le salon est meublé à l'ancienne, avec des canapés en cuir fin et usé et un imposant meuble télé surmonté d'un immense écran plat. Des cadres sont accrochés au mur, avec les photos plus ou moins récentes, de tous les ancêtres de mes maîtres et ces derniers. Des caméras, dissimulées derrière un gigantesque meuble rempli de toutes les coupes et médailles gagnées par la famille Hall filment constamment le salon et retranscrivent tout dans les moindres détails dans les archives numériques de la maigre sécurité du manoir.

Un épais tapis coloré est posé sur le sol et un magnifique piano à queue trône dans le fond de la pièce. Assis sur le siège, dos à moi, et jouant un morceau d'une main experte, se trouve l'un de mes jeunes maîtres : Andrew Hall

De sa main gauche, il plaque des accords qui tonnent ; de sa main droite, il compose la mélodie violente et colérique de la partition qu'il joue lorsqu'il est de mauvaise humeur. Ce qui cause cette colère, c'est évidemment la sélection Cerfale. C'est un tirage au sort où, tous les jeunes qui ont 16 ans dans l'année, doivent obligatoirement se présenter, les esclaves comme moi y compris. 200 jeunes sont sélectionnés, et sont enlevés de leurs domiciles pour entrer à l'école militaire dont le nom est transmis de soldat à soldat et inconnu des civils.

Cette année le nom d'Andrew est dans l'immense Coupe du Cerf où sont tirés les malheureux. Comme celui de Bariel, le mien et celui de ma sœur jumelle.

Je reporte mon attention sur Andrew. Ses cheveux bruns, encore humides après la douche, doivent sans doute le gêner car il secoue régulièrement la tête comme pour chasser les mèches qui lui tombent devant les yeux.

Son uniforme, celui réservé aux castes 2, est impeccable, sans aucune poussière. Mais sa cravate, qu'il déteste, est néanmoins défaite.

Les dernières notes du morceau s'élèvent dans une violente apogée. Dans une dernière inspiration, Andrew pose brutalement le dernier accord et se redresse. Il se lève, renoue sa cravate et range les partitions. Il regarde autour de lui, les sourcils froncés, croise mon regard et...

- "Athéna !"

Le chuchotement furieux, venant de juste à côté de mon oreille, me prend tellement par surprise, que je sursaute vivement. Je trébuche en avant, essaie de me rattraper à la porte du salon, qui s'ouvre d'un coup, et je m'étale violemment sur le sol, au pied d'un Andrew stupéfait.
Derrière moi se trouve Diane, jubilante.

- "Regarde Andrew !" clame-t-elle d'une voix narquoise. "Cette pauvre esclave sans cervelle était en train de t'observer comme la perverse qu'elle est !"

- "Non ! Je..."

J'essaye de me justifier mais Diane, la sœur d'Andrew, me coupe la parole d'un ton sec.

- "Ne me répond pas ! Rappelle-toi, nous sommes tes maîtres, tu es notre esclave ! Sans nous tu ne serais rien ! Pour la peine, tu resteras trois jours à l'eau et au pain rassis !"

- "Mais..."

- "Assez ! Si tu me contrarie encore une fois, je met le double de ta punition à ta sœur ! Est-ce clair ?"

Je soupire, elle vient de toucher la corde sensible. Je baisse la tête en capitulant.

- "Oui Mademoiselle, limpide."

- "Bien."

Elle se tourne ensuite vers son frère en me regardant de haut. Quant à moi, je regarde le sol où je suis prostrée pour ne pas croiser son regard et lui donner d'autres raisons de me punir.

- "Excuse-toi auprès de mon frère pour cette attitude insolente !"

Elle me regarde maintenant d'un air triomphant. Je lui lance un vague coup d'œil dégoûté, me tourne vers Andrew et me prosterne à ses pieds.

- "Veuillez m'ex... m'excuser jeune maître, c'était très déplacé de ma part de vous observer comme une voyeuse, vous ne m'y reprendrez plus jamais. Je vous le promets."

Un silence passe et je lève légèrement la tête pour le regarder. Je croise son regard, brûlant et étonnamment moins en colère qu'il n'aurait dû l'être. Une petite étincelle que je n'arrive pas à identifier éclaire soudain ses yeux et je baisse les miens.
Je sens soudain une main m'agripper par le bras et me tirer sèchement vers le haut pour me remettre debout. Je me retrouve alors face à Andrew qui me regarde cette fois droit dans les yeux. L'étrange lueur à disparue et je peux maintenant apercevoir une once de pitié.

Indignée, je détestais que l'on aie pitié de moi, je lève le menton, vrille mon regard au sien et lui dit d'une voix froide :

- "Je suis navrée de vous avoir causé du dérangement. Maintenant, si vous le voulez bien, j'aimerais me retirer. J'ai le dîner à préparer."

Je m'incline profondément et, avec un dernier regard froid pour Andrew, je m'éclipse dans le couloir menant à la cuisine.





NdA : A corriger

L'Eden de Félixa [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant