Chapitre 25 : Piste

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 ~ "I must be cruel only to be kind" Hamlet ~



Ce n'était pas possible. Ce n'était pas en train d'arriver.

Kaya serrait la main de Ganta dans la sienne comme s'il risquait lui aussi de disparaître. Elle ne sentait ni la caresse des flocons sur son cuir chevelu, ni le froid qui mordait ses joues. Tout son être n'était que révolte et panique. Ses pensées avaient perdu toute clarté, toute cohésion, réduites à des fusées filant vers son petit frère disparu, s'épanchant en conjectures suppliciantes. Son petit frère seul et terrifié, entre les mains d'immoraux sans nom.

Pas lui. Pas Bunta.

Des décharges d'adrénaline la parcouraient, l'instinct de protection crépitait dans ses veines, en vain. Écrasée d'impuissance, Kaya restait bloquée sur un circuit fermé, se heurtant en boucle à ses propres angoisses. Au point que, sans la présence de Setsuha pour la guider, elle aurait sans doute eu du mal à regagner le portail du squat.

— J- J'ai pas réussi à l'attraper, sanglota Ganta pour la énième fois. J'ai pas pu.

Kaya ne trouvait plus la force d'apaiser sa culpabilité. Elle avait tenté, d'abord, quand il leur avait raconté la façon dont les vilains avaient surgi au milieu de leur groupe, sur le retour d'une sortie scolaire. Personne n'avait eu le temps de réagir. Ils s'étaient emparés des jumeaux. Seul Ganta avait réussi à se débattre assez pour se libérer. Les portes de la camionnette avaient claqué avant que les enseignants ne puissent atteindre son frère. On l'avait retenu, empêché de courir après le véhicule. Et Bunta avait disparu.

Pourquoi eux ? Pourquoi, au milieu de trois classes confondues, les vilains avaient-ils ciblés les jumeaux ?

La vue de sa mère et de son oncle, debout à l'entrée du squat, força Kaya à cesser de retourner ses questions en tous sens. Ganta ayant échappé à la garde de sa grand-mère pour courir retrouver son aînée au Baratin, elle avait voulu épargner à Naomasa l'inquiétude de savoir son autre neveu en cavale. Bien sûr, il avait fallu qu'il prévienne leur mère. Elle aurait préféré qu'il s'abstienne.

Les dents serrées, Kaya s'avança à leur rencontre. Drapée dans un manteau de laine cintré, son maquillage impeccable et son carré de cheveux noir soigneusement protégé sous un bonnet, Masami darda des yeux d'un noir glacé sur sa fille. Setsuha se rapprocha insensiblement de l'étudiante, lui apportant un soutien silencieux.

Toujours hoquetant, Ganta se cramponnait à son aîné sans faire mine de les rejoindre. Leur mère marcha droit sur Kaya, qui crut un instant qu'elle voulait s'assurer de l'état de son fils... Puis la gifle lui déjeta la tête. Le son sec frappa ses oreilles avant qu'une sensation cuisante s'étale sur sa joue.

— Madame Tsukauchi ! s'exclama Setsuha.

Sourde aux protestations de l'ailée et de Naomasa, Masami empoigna sa fille par sa parka. Son visage tendu de fureur à quelques centimètres du sien, elle lui hurla au nez :

— Jusqu'où tu vas continuer à faire ta salope, hein ? Espèce de folle, tu vas me tuer mes enfants ! Tu m'entends ? Si tu veux faire les caniveaux avec tes rebus, c'est ton problème, mais je te défends, je te défends d'approcher mes fils !

D'abord sonnée par les secousses que lui imprimaient sa mère et la violence de ses cris, dont la sonorité se faisait haut perchée, Kaya eut la sensation qu'une rupture s'opérait tout au fond d'elle, aussi nette qu'un fil tendu au maximum cédait tout à coup. Elle se débattit contre la prise de sa mère, et empoigna son poignet de sa main libre. Les dents découvertes, les écarquillés de rage, elle activa son Alter.

𝐃𝐑𝐀𝐌𝐀𝐓𝐈𝐒 𝐏𝐄𝐑𝐒𝐎𝐍𝐀𝐄 ᶜˡⁱᶠᶠʰᵃⁿᵍᵉʳ ᵗᵒᵐᵉ ²Où les histoires vivent. Découvrez maintenant