Chapitre 16 - Ébranlement

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PARTIE II

AMA ET FAC QUOD VIS


~ "Now cracks a noble heart", Hamlet ~




Emmitouflée dans son duffelcoat, les cheveux roulés en chignon sur sa nuque, Taru retrouva Hawks au pied de son immeuble en fin d'après-midi. Vêtu en civil, sa tignasse blonde ébouriffée par le vent humide de novembre, il lui fit l'effet d'une tiède raie de soleil sur une peau glacée. Sa compassion enveloppante, sa présence réconfortante, lui seraient précieuses dans les heures à venir.

Le héros brossa du regard les mèches folles qui se tordaient autour de son visage. Il entreprit d'y mettre de l'ordre par petites touches légères, quand bien même ses soins ne tiendraient pas.

— Prête ? s'enquit-il.

Taru avait l'estomac si noué qu'elle se sentait nauséeuse, et des frissons d'appréhension la couvrait d'une sueur nerveuse.

— Non, gémit-elle. J'ai tellement peur.

Une expression de profonde sollicitude se peignit sur la figure de Hawks, plissant ses yeux d'or.

— On va pas se mentir, ce que tu vas entendre risque d'être pénible, admit-il. Mais...

Il marqua une hésitation, jetant une œillade sans équivoque à la couleur gris perle de ses cheveux. Taru acquiesça. La perte de son Alter avait un lien direct avec ses souvenirs liés à la mort de sa mère. Elle ne supportait plus de vivre avec des émotions émoussées, étouffée sous une gaine qui estompait la vivacité du monde autour d'elle. Elle devait s'attaquer au blocage cristallisé au fond de sa mémoire.

— Je sais. Je sais que si j'y vais pas, j'irai peut-être jamais mieux. Mais j'ai peur que ça empire, que j'arrive jamais à m'en remettre. Une fois que je saurai, il y aura plus de retour en arrière ! Je devrai vivre avec.

Hawks la saisit fermement par les épaules, le regard perçant.

— Taru, quoi que tu apprennes, je te promets que tu t'en sortiras. Tu seras pas seule avec ça : tu nous as tous... et tu as déjà surmonté du costaud avec moins que ça ! Peut-être que ce sera dur, peut-être que ce sera douloureux, mais s'il y a une chose dont je suis certain, c'est que tu t'en sortiras. Maintenant, si tu te sens pas encore prête...

Elle prit une profonde inspiration, rétablissant son souffle comprimé, et secoua la tête.

— Non, c'est bon. C'est bon. Je vais y aller.

Le docteur Baisho les attendait dans un Isakaya sans prétention, situé non loin de l'établissement dans lequel avait été envoyé la mère de Taru. Retraité depuis plusieurs années, il coiffait en arrière la touffe de cheveux blancs qui découvrait le dessus de son crâne, et les considérait avec une bienveillance toute clinique derrière d'épaisses lunettes.

Ils s'installèrent près des fenêtres aux vitres humides. De l'autre côté de la route coulait un canal régulé par un barrage à aiguilles. L'eau chutait entre les madriers à la façon d'un rideau lisse et aqueux. Une écume blanche troublait le courant.

— Je vous avoue qu'il m'a fallu replonger dans mes dossiers, déclara l'ancien chef de service. Quand on exerce si longtemps, on voit tellement de patients... malheureusement, des cas comme celui de votre mère ne sont pas isolés, et pour nous soignants, ils finissent par se confondre.

𝐃𝐑𝐀𝐌𝐀𝐓𝐈𝐒 𝐏𝐄𝐑𝐒𝐎𝐍𝐀𝐄 ᶜˡⁱᶠᶠʰᵃⁿᵍᵉʳ ᵗᵒᵐᵉ ²Où les histoires vivent. Découvrez maintenant