Chapitre 3 - Nouveautés

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"Nothing will come of nothing: speak again." King Lear ~



Dès neuf heure le matin, Taru se présentait à la maison Detnerat et montait à l'étage pour gagner les ateliers. Elle avait son propre bureau dans un vaste openspace lumineux que se partageaient les stylistes de la marque. Sur un grand tableau mural fixé au fond de la salle se trouvaient affichés le récapitulatif de la collection en cours, ainsi que les objectifs quotidiens et hebdomadaires. Les lieux sentaient le café et l'eau chauffait dans les bouilloires dès le début de la journée.

Contrainte par ses horaires de cours, Taru ne travaillait qu'à temps partiel, en soirée et le week-end. Ses collègues l'avaient accueilli avec une politesse mielleuse et demeuraient courtois avec elle, mais elle percevait nettement qu'ils n'avaient aucune envie de l'intégrer dans la dynamique qui liait l'équipe. Elle n'était jamais invitée à se joindre à eux pendant les pauses potin et cigarettes, ni à les accompagner à l'izakaya en sortant. La jeune femme se bornait donc à s'installer à son poste et se concentrait sur ses croquis pendant des heures, remettant distraitement ses mèches grises cendré en place quand elles tombaient devant ses yeux.

Ce jour-là, elle terminait une série d'esquisses basées sur la morphologie atypique qu'on lui avait attribué, quand elle fut appelée par sa cheffe de projet. La jeune femme rangea rapidement ses affaires avant de se présenter à son bureau. Sumadera Ai jouissait du surnom de Gõdo Feari parmi les équipes. La bonne fée. Sexagénaire à la peau d'un bleu outremer scintillante d'éclats chamarrés, aux cheveux neigeux coiffés en rouleaux autour de son visage affable, et aux mains dotées de quatre doigts, elle méritait amplement son titre. Les ailes membraneuses prêtes à vrombir dans son dos le lui valaient autant que son efficacité à mener les équipes et organiser le travail.

— Nijiiro, comment se sont passés ces premiers jours parmi nous ? s'enquit-elle quand sa subordonnée eut pris place.

— Vraiment très bien, merci. Je suis contente d'être là.

Sa réponse n'était pas un mensonge, mais elle en avait l'amertume sur son palais. Taru appréciait de venir travailler dans ce domaine de la mode qu'elle avait toujours rêvé d'intégrer. Pourtant le frisson manquait. L'élan de joie dans la poitrine. La sérénité dans laquelle elle s'absorbait quand son crayon courrait sur le papier. Elle concevait ses modèles comme on accomplirait une tâche : consciencieusement, sans en tirer davantage que la satisfaction du travail bien fait.

— Je suis ravie de l'entendre, sourit Gõdo Faeri. Surtout n'hésitez pas à venir me trouver s'il y a quoique ce soit.

Le visage lisse, la jeune femme étira un sourire déférent.

— Bien sûr.

— Dites-moi, reprit sa chef de projet en croisant ses doigts poudroyés sous son menton. Je suis en pleine élaboration des stratégies marketing pour le lancement de nos prochaines collections, et je me demandais si je pouvais compter sur vous.

Taru vit immédiatement où la menait cette entrevue. Elle acquiesça néanmoins.

— Oui ?

— Je pensais à une collaboration entre notre enseigne et l'agence du Numéro 3. Qui sera peut-être bientôt Numéro 2, à en croire les prognostiques ! J'ai été mis au courant par la RH que vous étiez en mesure de lui transmettre notre proposition ? Vous pensez que vous pourriez lui transmettre les coordonnées de nos chargés de communication ? Libre à lui d'en faire ce qu'il veut ensuite !

𝐃𝐑𝐀𝐌𝐀𝐓𝐈𝐒 𝐏𝐄𝐑𝐒𝐎𝐍𝐀𝐄 ᶜˡⁱᶠᶠʰᵃⁿᵍᵉʳ ᵗᵒᵐᵉ ²Où les histoires vivent. Découvrez maintenant