Tous les matins c'est la même rengaine, se lever, prendre sa douche et enfiler notre uniforme scolaire. Sauf que dans mon cas, il y a une autre étape à ajouter à celles que je viens d'énoncer et il s'agit de l'étape de la « dissimulation ».
Contrairement à la majorité des personnes qui vivent ici, j'ai décidé d'être une hors-la-loi, les « Indociles » comme on aime nous appeler. C'est donc enfermée dans ma salle de bain, attenante à ma chambre, que je m'applique à dissimuler mes tatouages à l'aide d'un fond de teint plus qu'efficace ainsi que mes cheveux « chimiquement colorés » avec une perruque dont la couleur imite à la perfection ma couleur naturelle.
« Katherine, le petit-déjeuner est servi ! Nous n'attendons plus que toi, entendis-je, ce qui me fait sursauter.
- J'arrive tout de suite maman, répondis-je après m'être remise de mes émotions. »
Je m'assure que plus aucun de mes tatouages ne soit visible, qu'aucune mèche de mes cheveux ne dépasse et que j'ai bien caché le matériel qui me permet d'être « normal » aux yeux de notre bonne vieille société, avant de rejoindre mes parents dans la cuisine.
A mon arrivée, mon père, comme à son habitude, a la tête plongée entre les pages de son journal, prenant des nouvelles du conflit entre les états gérés par l'Église et les états « impies » qui refusent de faire des enseignements de Dieu leurs lois. Et lorsqu'il se rend compte de ma présence, il replis son journal, parce que selon nos lois, la guerre est une affaire d'hommes, non de femmes. Ma mère, quant à elle, joue son rôle d'épouse parfaite et de mère irréprochable en déposant une assiette pleine de pancakes et s'assoit.
Comme avant chaque repas, nous nous prenons la main, formant une sorte de cercle et mon père récite le bénédicité que je répète du bout des lèvres. Notre vie au sien de l'Église est d'un ennuis... Prière avant de manger, silence le plus total lors du repas, prière avant d'aller dormir... La foi avant tout.
Le petit-déjeuner prend fin lorsque l'assiette de pancakes est vide, ainsi que les bols de thé de mes parents et mon verre de jus de fruit. Mon paternel quitte la table sans un mot pour ma mère et moi, pas de « passez une bonne journée » ou « à ce soir, je vous aime ». C'est donc avec seul bruit de fond le couinement de l'éponge humide sur la faïence de la vaisselle et de l'acier des couverts qui s'entrechoquent que ma mère et moi nous nous retrouvons.
7h20, la vaisselle est terminée et je dois me rendre à l'arrêt de bus pour 7h30 tapante, je remonte en vitesse dans ma chambre pour y récupérer le blazer de mon uniforme scolaire ainsi que les souliers noirs vernis obligatoires.
7h30, le bus jaune portant le nom et le blason de l'école arrive et nous montons tous à bord tout en saluant le conducteur, qui comme toujours, nous répond d'un simple signe de la tête et d'un grognement.
La matinée de cours s'est passée comme d'habitude, sans encombre et de façon studieuse. Le repas de midi, un classique, haricots verts, riz blanc et un morceau de poisson sec, sans aucun goût, l'excuse que l'on sert aux parents qui se plaignent de la qualité des repas servis est toujours la même et n'a jamais changé de forme d'aussi loin que je me souviens :
« Monsieur/Madame, l'État est en guerre. La viande que nos paysans produisent est directement envoyée à nos soldats pour qu'ils aient de l'énergie pour combattre ces impies, que Dieu les protège et leur vienne en aide pour vaincre ces monstres. Cependant, le poisson est excellent pour la mémoire de nos élèves. »
Que répondre face à cette réponse ? Rien qu'à l'évocation de la guerre et des soldats, les parents d'élèves courbent l'échine et laissent tomber l'idée d'améliorer les repas qu'on nous tous les midis.
Après le remplissage d'estomac, le « remplissage de crâne » reprend. Depuis que je suis « une Indocile », je me demande ce que les garçons peuvent bien apprendre pendant leurs heures de cours parce que... Ah oui, petite précision, ici, dans cette école, les filles et les garçons sont séparés, parce que oui, on n'éduque pas une fille et un garçon de la même manière. On apprend aux garçons à gérer des entreprises, l'État ou que sais-je d'autre, tandis qu'aux filles, on leur apprend à tenir leur foyer, s'occuper des enfants, à devenir institutrice, infirmière, secrétaire et pour les moins aisé d'entre-nous, femme de ménage dans les familles les plus riches...
Des raclements de chaises me sortent de ma rêverie et lorsque je relève la tête, deux hommes en uniforme si tiennent sur l'estrade une feuille de papier entre les mains.
« Katherine HAMILTON, Destiny BERRY... »
Mes camarades et moi, du moins celles qui ont été appelé, nous quittons la salle de classe sous les regards interrogatifs de certaines de nos camarades et moqueurs de la part d'autres. En une fraction, nous sommes cinq à attendre dans le couloir sous la surveillance d'un homme en uniforme, celui de la CCS (« Church Correction Service »).
On nous fait entrer dans l'auditorium, endroit où nous nous retrouvons tous les matins pour prier pour nos soldats. On y rejoint d'autres élèves déjà présents, filles et garçons confondus. Les agents du CCS nous forcent à nous asseoir dans les gradins avec les autres filles venant d'autres classes.
En parcourant les élèves présents dans cet auditorium, je reconnais certains de mes amis c'est à cet instant que je comprends pourquoi on nous a parqué ici et mon hypothèse, qui n'en est pas vraiment une se confirme lorsque je vois le Haut Gouverneur suivit par le Commandant du CCS monter sur l'estrade de l'auditorium.
« Bonjour jeunes gens, nous salut le Haut Gouverneur.
- Bonjour Haut Gouverneur HERSHEY, répond-on en chœur. Que Dieu vous garde.
- Si vous êtes regroupés ici, c'est parce que certains d'entre vous ont pêchés d'une façon ou d'une autre, que ce soit par la pensée ou en agissant. D'autres ont été dénoncé par leurs parents, des voisins ou des professeurs, parce qu'ils ne respectent pas les lois de l'Église. Parmi vous, certains cachent des tatouages, ont des piercings autres que les autorisées, ou sont en possession d'objets prohibés. Vous allez tous et toutes transportés au centre de réhabilitation. Puisse la parole de Notre Seigneur vous remettre sur le droit chemin et vous pardonner vos pêchés. »
Sur ces paroles et toujours suivit par le Commandant du CCS, le Haut Gouverneur quitte la pièce, nous laissant sous la surveillance d'agents.
Le centre de réhabilitation... Quand on était enfant, cela ressemblait au Croque-Mitaine, nos parents évoquaient cet endroit ou menaçaient de nous y envoyer si nous n'étions pas sage. Je ne nie aucunement l'existence de cette « prison » pour les jeunes qui se rebellent face aux lois de l'Église. Je sais que ce centre existe vu le nombre de fois où j'ai appris que d'autres « Indociles » ont disparu de la circulation. Mais jamais je n'aurais pensé une seconde m'y retrouver, c'est vrai quoi, je fais exprès de me lever avant mes parents pour prendre le temps de tout bien dissimuler que ce soit mes tatouages, mes cheveux et mes affaires... Alors comment cela se fait-il que je me retrouver dans cette situation...