14 - Le cauchemar

414 19 5
                                    


Point de vue de Pierre

Je trouve difficile de m'endormir ce soir, je pense beaucoup à Coline. Depuis qu'elle est parmi nous, j'évite au maximum de lui envoyer des SMS. Chaque jour, je me sens de plus en plus mal... mais je ne sais pas comment lui avouer que c'est moi. Elle risque vraiment de m'en vouloir et j'ai peur de ça. Il y a des éclairs dehors à cause d'un orage. Tout le monde dort profondément, mais j'entends quand même du bruit au fond du bus. Je sors discrètement de mon lit superposé et m'approche du fond, ce que je vois attire mon attention. Coline transpire, endormie et agitée dans tous les sens. Je m'approche doucement d'elle, j'entends qu'elle dit « maman ». Elle doit faire un cauchemar à propos de sa mère. Je la réveille tout en douceur en lui caressant les cheveux.

- Coline, réveille-toi.

Elle ouvre rapidement les yeux et s'assoit, trempée. Elle me regarde, elle respire difficilement. Je monte sur son lit superposé et la prends dans mes bras. Elle entoure ses bras autour de moi et se met à pleurer.

- Chut, tout va bien ma belle, je suis là, dis-je en lui caressant le dos.

- C'est affreux, dit-elle en pleurant.

- Veux-tu sortir prendre l'air ?

Elle hoche la tête. Je descends du lit superposé et lui prends la main pour sortir du bus sans faire de bruit. J'ouvre la porte et nous nous asseyons sur le rebord. La cabine du conducteur étant isolée, les autres ne peuvent pas nous entendre. Je sors mon paquet de cigarettes et lui en offre une. Elle l'allume rapidement en prenant une bonne bouffée de nicotine. Elle se calme peu à peu, ses mains posées sur ses genoux. Je pose ma main sur son genou et elle serre la mienne.

- Tu veux me parler princesse ? Dis-je avec douceur.

- À chaque fois qu'il y a de l'orage, c'est toujours la même histoire qui me hante, la perte de ma mère.

- Comment est-elle décédée ?

- À l'époque, j'avais entendu des rumeurs selon lesquelles une jument et son poulain avaient été envoyés à l'abattoir simplement parce que la jument était malade et ne pouvait pas nourrir son petit âgé de seulement deux jours. Je vois encore le visage préoccupé de ma mère alors qu'elle me racontait ça. Personne n'a réussi à trouver une autre jument prête à accueillir le poulain, alors ils ont tous les deux été envoyés à l'abattoir sans se soucier de cette situation ni dépenser d'argent pour soigner la jument.

- Qui étaient "ils" ? ai-je demandé.

- Ce sont des personnes qui participaient aux concours nationaux à l'époque. Ils montaient leurs chevaux uniquement pour l'argent et la victoire, sans chercher à créer des liens avec eux.

- C'est horrible de faire ça.

- J'en ai parlé à ma mère, et elle n'a pas hésité à se rendre à l'abattoir pour les sauver et les ramener dans notre haras. Elle était leur propriétaire à l'époque. Un soir, lors d'un violent orage, au moment où nous rentrions du trajet vers le haras depuis l'abattoir, ma mère a perdu le contrôle du van car les chevaux étaient agités. Le van s'est renversé ainsi que notre voiture. Les larmes commencent à couler. Il y avait un orage intense, et j'ai dit à ma mère que si nous n'y allions pas ce soir-là, il serait trop tard pour sauver les chevaux. J'ai insisté car elle savait combien je les aimais. Nous y sommes donc allés. Ma mère est morte sur le coup, tout comme la jument. Elle est tombée, mais le poulain a survécu car il est tombé sur sa mère. Quelqu'un a été témoin de l'accident et a appelé les pompiers. Ils ont pu sauver le poulain et moi. Je suis restée dans le coma pendant une semaine, et quand je me suis réveillée, Caroline, la meilleure amie de ma mère, m'a annoncé son décès. Mon monde s'est effondré. J'ai eu du mal à approcher le poulain au début, mais j'ai fini par y arriver car j'ai réalisé que nous avions besoin l'un de l'autre pour surmonter cette épreuve. Ce sont les parents de Lenie qui m'ont accueillie, enfin plutôt sa mère puisque son beau-père est décédé récemment. C'était une très bonne amie de ma mère. Depuis ce jour-là, le poulain et moi ne nous sommes jamais quittés.

- Le poulain c'est Espoir, c'est ça ? Ton cheval ?

- Oui, il a un talent exceptionnel et nous avons beaucoup travaillé ensemble. Sans lui, je ne serais pas là où je suis aujourd'hui. Nous sommes vraiment pareille, nous avons peur des autres et de l'abandon. Je suis la seule personne capable de le monter avec Jessie. Espoir est un cheval remarquable, mais il a été profondément marqué par l'accident. Il est craintif, mais remarquable.

- Je comprends mieux pourquoi tu as eu du mal à accepter la proposition.

- Je ne pourrais jamais l'abandonner, mais j'ai peur qu'il le ressente.

- Tu sais, je pense que vous êtes inséparables tous les deux, et je te promets que dès que nous en aurons l'occasion, nous irons le voir ensemble. Je t'accompagnerai.

Elle hoche la tête et nous montons dans le bus. Je la suis et elle grimpe sur sa couchette. Au moment où je m'apprête à partir, elle retient mon bras.

- Pierre, je ne veux pas rester seule. Est-ce que ça te dérangerait de rester dormir avec moi ? Si tu ne veux pas, je comprendrai, dit-elle timidement.

- Bien sûr que non, lui dis-je en souriant.

Je monte sur sa couchette et elle se décale pour me faire de la place. Je lui ouvre les bras et elle pose sa tête sur mon torse. Ma main caresse doucement son dos.

- Merci Pierre.

- De rien, bonne nuit princesse. Ne t'inquiète pas, je suis là. Je lui embrasse le haut du crâne.

Elle pose sa main sur ma joue et m'embrasse la joue avant de s'endormir paisiblement.

Ma passion - Pierre GarnierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant