Chapitre 13

14 2 1
                                    

Lénéris 

Les nuages clairs qui percent le ciel écarlate annoncent le jour. Devant la maison de Jules, j'attends Solonn et Aschta avec une angoisse mêlée de doute. J'observe la forêt noirâtre qui s'étend à quelques mètres de moi. De la cime des arbres s'échappent la montagne aux trois sommets : le Mont Triveste. Cela faisait trente ans que je n'y étais plus retournée, plus depuis la Lune de Sang. Une vague image de ma sœur ressurgit dans mon esprit, interrompue par le bruissement des pas d'Aschta et Solonn qui surgissent derrière moi. L'aîné me jette une œillade vive avant de s'éloigner, suivi par Solonn. L'hésitation me force à rester immobile.

« — Écoute Lénéris, je te l'ai déjà dit : soit tu viens avec nous, soit tu restes avec Jules et Invidia. Quant à moi il est hors de question que tu nous ralentisses, alors décide toi maintenant. » Maugrée-t-il sèchement.

Il n'a pas tort, mais son ton autoritaire m'agace tout de même, et je retiens une réponse acerbe :

« J'ai dit que je viendrais, et ne reviendrai pas sur ma parole. Rétorqué-je, glaciale, pour mieux cacher mon appréhension.

— Soit. Dans ce cas, mettons-nous en route, nous avons assez perdu de temps. » Conclut-il alors en prenant la tête du trio.

Sans attendre de remarque supplémentaire, je m'élance à sa poursuite. Je marche au niveau de Solonn, qui m'adresse un léger sourire encourageant. Je réponds faiblement à son geste, peu sûre dans quelle aventure je viens de m'engager.

Après plusieurs dizaines de mètres, Aschta finit par s'arrêter devant un sentier étriqué qui s'enfonce dans les bois.

« — On passe par ici ? Pas par la route officielle ? Demande Solonn en s'approchant pour examiner la route.

— Non. C'est plus rapide par ici. Sans compter que la route officielle fait office de douane entre la zone neutre, le territoire des Lorions, et celui des Vespérines. Nous n'avons pas de justificatifs quant à notre volonté de traverser la frontière, nous risquerions de nous faire intercepter par les douaniers et cela nous rendrait suspects. Explique son aîné.

— Aussi suspects que de parcourir la forêt en toute illégalité ? » Rétorqué-je en rejoignant Solonn, peu convaincue.

Pour toute réponse, Aschta s'engage dans le sentier d'un pas certain, en ignorant parfaitement nos interrogations. Il se retourne seulement pour nous affirmer quelques paroles :

« — Normalement nous ne rencontrerons pas de patrouilles si nous marchons vite. Et puis nous sommes des loups-garous, nous avons le droit de circuler librement sur notre territoire. Conclut-il en s'enfonçant définitivement dans la noirceur des bois.

— Évidemment. Répondé-je ironiquement alors qu'un rictus froid s'installe sur mon visage.

— Au pire, si on se fait attraper, on peut laisser Lénéris en pâture. » S'amuse Solonn en suivant nonchalamment son frère. « C'est bien connu que les loups-garous ne portent pas les sorcières dans leur cœur. » Ajoute-t-il plus bas en allongeant son sourire rieur.

Je lui jette un regard lugubre qui trahit mon inquiétude. Je n'étais pas en condition pour rire. Savoir que la lune de sang planait au-dessus de nous telle un orage, prête à nous frapper par ses foudres à tout instant, me rendait particulièrement nerveuse. Alors que je divague dans mes pensées, le fracas d'une branche foulée aux pieds maladroits de Solonn me rappelle la verdure qui m'entoure. À ma hauteur, j'aperçois seulement les racines noueuses des arbres qui s'emmêlent peu au-dessus de ma tête. Leur tronc massif s'étire jusqu'à toucher les cieux, recouverts d'une fourrure de feuilles épaisses, que les rayons du soleil arrivent à peine à percer. Des ondes fraîches émanent des buissons charnus drapés sur le sol humide. Je perçois des murmures qui parcourent la forêt, sans réussir à cerner si leur provenance est animale ou végétale. À mesure que nous marchons, le sentier que nous suivions se dissipe, jusqu'à être complètement noyé dans les plantes. Aschta continue néanmoins à avancer, imperturbable. Cela me rassure inconsciemment. Dans cette situation, j'adorais soudainement le tempérament autoritaire de mon ami, qui, pour une fois, ne m'irritait pas.

ParallèlesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant