Chapitre 12

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Lénéris

Je pousse la porte menant sur la nuit trouble. La lune et les étoiles se sont noyées dans les nuages noirs, et la brise fraîche fait onduler la robe des arbres.

Je traverse le jardin d'un pas vif, pourtant je me sens terriblement perdue. Les paroles de Solonn ne quittent pas mon esprit. La prochaine lune de sang est annoncée. Songé-je, tétanisée. Je n'ai pas le temps de me plonger dans les souvenirs de la lune écarlate qu'une voix m'appelle :

« — Lénéris, attends ! »

Je me retourne. Aschta se tient sur le pallier de la porte. Il reste plusieurs secondes immobile, comme s'il cherche ses mots. Le vent se lève. La bise éclaircit sa mine troublée. Il détourne un instant le regard, une lueur de désespoir passe dans ses yeux, puis retrouve immédiatement son visage stoïque.

« — On doit discuter. » Annonce-t-il, très sérieux, après s'être mis à ma hauteur.

Je l'écoute à peine. Mon cœur s'affole au rythme de la peur croissante, et l'angoisse écœurante me prend aux entrailles. Je réponds faiblement, la gorge nouée de chagrin :

« — Solonn a été clair. »

Aschta me considère quelques secondes avec compassion, puis son regard se durcit.

« — Pourtant il existe peut-être une solution pour contrer la lune de sang. » Révèle-t-il avec conviction.

Je refuse d'y croire. Cet évènement monstrueux m'a toujours paru comme invulnérable, embrassant un montre qui n'est pas le notre. La simple mention qu'on soit capables de contrôler des univers parallèles me refroidit douloureusement. Je sens alors la rancœur s'échapper de mes lèvres :

« — Impossible. La lune de sang est un évènement immémorial, tu ne peux pas prétendre qu'il y ait une solution. Rétorqué-je d'un ton glacial en reculant.

— Tu n'en sais rien. » Proteste fermement Aschta.

Mon visage se ferme devant sa naïveté révoltante. Il avait toujours été le plus sage d'entre nous. Le voir si ébranlé me fait tourner les talons.

« — Toi non plus. » Marmonné-je, tremblante, en poussant le portail.

Une vague de sentiments noirs m'emporte alors. La violence des émotions me frappe au cœur. Mon visage se froisse de chagrin, et mes yeux se noient irréductiblement de larmes. Une traction sur mon bras interrompt mon élan. Je sèche ma peine derrière le revers de mon poignet, et me tourne doucement. Aschta me presse vainement la main, le visage adouci d'une sincère empathie, mêlée à la détresse.

« — S'il te plait. Tu ne peux pas partir comme ça. Toi et moi savons que la lune de sang ne doit pas revenir. » Insiste mon ami avec acharnement.

Je me crispe à mesure que ses yeux glissent sur mon bras. J'interprète cette insistance comme une allusion, qui déchaîne en moi des images insupportables. Je le fusille du regard et reprends sèchement ma main figée.

« Peut-être, mais je ne vois pas ce que je peux faire de plus. » Articulé-je à travers ma fureur. « Pour l'instant, je souhaite juste y réfléchir seule. »

Mes mots éclatent alors que l'assaut du vent nous délivre la bruine.

« — Je comprends. » Répond-t-il finalement dans un murmure songeur, aspiré par la brise.

Son visage devenu mélancolique embrase ma propre terreur, et je ne perds pas une seconde pour partir.

Je peine à marcher vite. Mon corps est secoué de frissons. J'ai chaud. J'ai froid. Ma vision est déformée par des larmes de panique, et je n'entends plus les soupirs de l'averse. Seuls mon souffle erratique lié aux coups de mon cœur brisent le silence de la peur. Je me perds alors une tornade de souvenirs.

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