Une sombre vision du monde

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Chapitre 5: Une sombre vision du monde

Quarante-huit heures. Quarante-huit heures d'angoisse constante venaient de s'écouler depuis l'incident. Je fixais l'horloge qui se trouvait dans mon bureau. J'étais revenue au travail pour essayer de me changer les idées, et d'examiner de nouveau la première victime de cette affaire : Danielle Mitchell, bien trop jeune pour être étalée sur ma table d'autopsie. Je l'avais réexaminé trois fois déjà, cherchant le moindre détail qui permettrait de nous donner des indications sur le véritable coupable de l'histoire. Quand je ne vais pas bien, j'ai tendance à me plonger dans le travail ou dans les faits scientifiques pour ne pas y penser. Pour être honnête, je pense que j'étais venue à mon bureau également pour m'éloigner d'Angela. C'est une femme adorable mais peut-être un peu envahissante. Malgré ça, personne ne pouvait la blâmer, sa seule et unique fille était dehors, vouée à elle-même, et ce depuis maintenant l'équivalent de deux jours entiers.

J'étais plongée dans mes pensées, fixant les aiguilles marquant chaque seconde passée sans ma meilleure amie à mes côtés, quand mon téléphone se mit à sonner. Je mis un temps pour m'ancrer de nouveau à la réalité avant de décrocher le téléphone et d'entendre la voix de Frankie, difficilement audible à cause de ce qu'il devait se passer autour de lui.

"Maura? O...Jane." Je n'avais presque rien entendu à ce qu'il avait voulu me dire.

"Frankie quoi? Je t'entends très mal, tu peux répéter s'il te plaît?"

"...police...eau, viens...main..nan." Tout ce chaos derrière lui, que pouvait-il se passer? Même si je n'avais presque entièrement rien compris à ce qu'il essayait de me dire, je savais qu'il fallait que je me déplace et que je le rejoigne. En partant de mon bureau, j'eus presque l'impression soudaine que ce suspense allait me tuer. Je me suis dirigée vers ma voiture après avoir passé la porte du poste de police de Boston, qui contient un nombre incalculable de moments mémorables avec tout le monde, en particulier Jane. J'ai démarré ma voiture et pris la direction du même endroit, encore et encore, c'est-à-dire les quais près du pont. Sur le chemin, je me suis sentie comme surpassée par mes émotions qui commençaient à prendre le dessus. J'avais un mauvais pressentiment inexplicable. Mes yeux commencèrent par se remplir de larmes qui me brûlaient les yeux. On les fermant, je ne me rendis pas compte que ma voiture avait franchi la ligne continue et que je fonçais droit sur une voiture. En dernier mouvement de réflexe, j'ai tourné le volant violemment, tout ça accompagnée par le bruit incessant du klaxon de la voiture vers laquelle je me dirigeais. J'ai réussi à l'éviter au dernier moment. Tout ça provoqua en moi un pic d'adrénaline et mon cœur battait tellement fort que je le sentais taper dans ma poitrine. J'ai essuyé mes larmes tombées sur mes joues, prêtant cette fois-ci une double attention sur la route. Je finis par arriver à ma destination, toujours sous le choc de l'accident que je venais d'éviter; je comprends pourquoi Angela a insisté pour me conduire la dernière fois, les sentiments ça peut engendrer des situations dangereuses.

Je finis par prendre conscience de la nature du bruit qui m'empêchait d'entendre Frankie correctement. Tout le monde autour s'agitait, des civils, des policiers, des gardes-côtes, et même des ambulanciers. Est-ce qu'ils avaient trouvé Jane?? Mon cœur commença à battre même plus vite que lors de mon accident évité de peu. Je me mis à courir vers le centre de cette foule, ayant miraculeusement repéré Frankie au milieu de toutes ces personnes dont les visages m'étaient inconnus. Au fur et à mesure que je m'approchais, je sentais l'afflux de sang dans mon cœur et l'impatience grandir. Je finis par atteindre Frankie qui en se retournant me bloqua pour ne pas que j'aille plus loin.

"Maura..." Il n'eut pas le temps de finir que mes yeux se posèrent sur un corps sans vie qui semblait gonflé par l'eau. Ce qui semblait être un costume et des cheveux de couleur noirs avaient directement suggéré à mon esprit qu'il s'agissait de Jane. Là sur le sol reposait réellement un corps, ayant les mêmes aspects que ma meilleure amie. À cette vision, je sentis le sol se dérober en dessous de mes pieds et je perdis l'équilibre, avant que Frankie ne me rattrape pour m'éviter de tomber sur le béton froid de cette nuit sordide. Cette fois, je ne pouvais plus les arrêter, les larmes. Je me suis effondrée comme si ma vie venait d'être privée de ce à quoi je tenais le plus au monde. Un nombre incalculable de pensées et de questions traversaient mon esprit tourmenté par la vision d'horreur à laquelle je venais d'être confrontée. Frankie me tenait près de lui, me serrant le plus fort possible pour montrer que je n'étais pas seule. J'entrouvris de nouveau mes yeux pour identifier Korsak, au-dessus de cet être sans vie. Je finis par remarquer autour de moi que tout le monde qui connaissait Jane et participait aux recherches étaient soit en pleurs, soit avaient la tête baissée.

"Frankie !!" Une voix au loin attira mon attention. C'était une voix que je connaissais que trop bien. Angela. Elle se dirigea vers nous, ayant du mal à marcher, des larmes tombant sans arrêt sur son visage. Elle avait compris ce qui était en train de se passer. Frankie s'excusa et demanda à un autre agent de s'occuper de moi pour qu'il puisse aller voir sa mère et la garder loin de la personne étalée sur le sol. Elle ne devait pas voir ça. Il la prit dans ses bras et les deux s'effondrèrent dans l'étreinte de l'autre. C'était un terrible drame, même si nous n'avions pas vérifié l'identité de la victime, il y avait bien trop de facteurs que nous ne pouvions pas ignorer et qui nous emmenaient tous à la même conclusion: Jane était morte.

Après plusieurs heures, on nous força à tous rentrer chez nous, les recherches étaient terminées et nous ne pouvions pas rester sur ces quais éternellement. Alors j'étais sur mon lit, les yeux grands ouverts et rouges. Je fixais le plafond. Je pensais avoir terminé de pleurer, mais petit à petit le désespoir s'empara de moi et j'eus l'impression qu'une personne était venue prendre mon cœur et le déchirer en de minuscules morceaux au fur et à mesure. Cette douleur était insupportable, infiniment plus grande que la douleur vécue lors de la disparition et de l'attente. Cette fois, j'avais l'impression que le cauchemar que j'avais fait l'autre jour était en train de se réaliser. J'étais maintenant assise, dans le noir, je n'arrivais plus à respirer, comme étouffée par cette absence pesante. Je voyais ce corps défiguré sur ce sol. J'avais la tête qui tournait, je n'arrivais plus à réfléchir, mon corps se crispait comme pour donner forme à ce qui me dévorait de l'intérieur. Cette sensation, ce que je ressentais, ce n'était pas normal. Cette détresse profonde qui me nouait la gorge. J'étais désemparée, sans ressource. C'est dans cet état que je finis par comprendre ce qui était sous mes yeux depuis des années: mes sentiments envers Jane ont toujours été, et demeureront à jamais...

De l'amour.

La Meilleure Tragédie de Notre VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant