Rien n'aurait dû arriver

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Chapitre 6: Rien n'aurait dû arriver

Le lendemain, je me suis levée tôt, entre la fatigue et l'incapacité de dormir plus longtemps. Je me suis préparée. Je me devais de savoir si ce corps appartenait réellement à celle que l'on croyait. Alors je dus passer outre la douleur dans mon cœur qui m'empêchait d'être entièrement lucide. Je pris la route vers mon bureau et la salle d'autopsie que je ne connaissais que trop bien. Après être arrivée, je me suis dirigée vers la morgue où se trouvait dans un frigo le corps de la femme retrouvée la veille. Quand j'ai posé la main sur la poignée du coffre froid, je pris une très grande inspiration, essayant de ralentir mes battements de cœur qui avaient grimpé en flèche quand mes yeux se sont posés sur le bon tiroir contenant le corps. Alors j'ai tourné la poignée et tiré le tiroir vers moi, dévoilant ce corps défiguré. Je dus détourner le regard un instant. Normalement les corps de noyés de ne me font aucun effet, mais cette fois la possibilité que ce corps soit celui de Jane m'en a donné la nausée. Je l'ai déplacé sur une des tables d'autopsie et je me suis mise à regarder ce corps sans vie, ayant perdu toute identité. La peau était gonflée et décolorée, laissant apparaître les veines bleues en dessous. Le visage était extrêmement rond, à cause de l'eau ayant pénétré les cellules. Les cheveux étaient longs et d'un noir profond et arrivaient à la poitrine. Les vêtements étaient en lambeaux, mais on pouvait imaginer un costume noir qui enveloppait avant la victime. Alors pour commencer l'autopsie j'ai retiré tous les restes de vêtements, exposant la peau nue et couverte d'hématomes sombres et de lacérations. J'essuyai une larme qui tombait sur ma joue avant de procéder au rapport préliminaire oral. Ensuite, j'ai allumé l'enregistreur et éclairci ma voix avant de difficilement sortir les premiers mots.

"La victime est une femme, environ un mètre soixante-quinze, d'entre approximativement trente et quarante ans..." Je m'arrêtai de parler un instant, sentant ma gorge se serrer. Après quelques secondes, je repris "...de très nombreux hématomes et profondes lacérations sur l'ensemble du corps, semblant dater d'approximativement deux jours. Je vais maintenant procéder à un prélèvement d'ADN." J'éteignis l'enregistrement et pris un kit de prélèvement d'ADN que je fis. Je mis directement l'échantillon à analyser moi-même. Malheureusement, je savais ce que je devais chercher et j'ai chargé les données de l'ADN de Jane dans le logiciel d'analyse sanguine et je me mis à attendre les résultats, ce que je ne fis pas longtemps. Un bip se mit à sonner et je sentis mon cœur se briser pour de bon. La hauteur du son avait elle-même dévoilé les résultats, le bip de confirmation étant plus aigu que celui qui révélait le manque de correspondance. Je dus tout de même regarder l'écran pour la confirmation de ce que je redoutais le plus à cet instant. En gros sur l'ordinateur, était affichée la phrase "CORRESPONDANCE TROUVÉE". C'est à cet instant que les dernières lueurs d'espoir finirent par s'éteindre et je crus m'évanouir pendant un instant si je n'avais pas été assise. Je regardais le cadran vert clignotant qui contenait la phrase, comme pour m'assurer que c'était bien réel et en train de se produire. Je me suis dirigée dans mon bureau où j'ai fermé les stores et les portes à clé avant de m'effondrer sur mon canapé et d'être saisie par la même crise que la veille, même d'autant plus douloureuse. La cage thoracique comprimée, la gorge nouée par les pleurs que je ne pouvais retenir. Pendant près d'une heure je suis restée dans cet état, avant de finalement m'endormir, à mi-chemin entre sommeil et évanouissement. J'ai passé des heures inconsciente.

"Maura !" Je me fis réveiller par le Capitaine Korsak au-dessus de moi, il avait l'air terriblement inquiet. Je pris la parole, anticipant les mots qui s'apprêtaient à sortir de ma bouche.

"Korsak, c'est Jane. Le corps sur ma table d'autopsie, c'est notre Jane." Ma voix était tremblante, saccadée et presque inaudible puisqu'elle était accompagnée de nouvelles larmes.

"Je sais." Il chuchota avant de me serrer dans ses bras, action qu'il n'avait jamais faite avec moi auparavant. Pendant que je n'étais plus consciente, je suppose qu'il est venu à mon étage avant de frapper à ma porte, et n'entendant pas de réponse, il a dû se diriger vers le laboratoire où il a vu l'écran porteur de la mauvaise nouvelle. Il avait sûrement enfoncé la porte de mon bureau où il m'a trouvé allongée et inerte sur mon canapé.

J'éclatai de nouveau en sanglots, sentant la vulnérabilité et le désespoir m'envahir de nouveau. Korsak laissa échapper des larmes également, que personne n'avait jamais vu sur le visage de l'habituel fort et déterminé Capitaine Vince Korsak. Mais cette fois, la douleur était trop forte pour nous deux et les émotions ne pouvaient plus être contenues. Le temps semblait avoir été figé, comme une photographie dévastatrice capturant un des pires moments de nos vies, rongés par le même mal. Après un temps, on se relâcha, et je pris la parole. Dans un miroir, je vis mon mascara noir traçant des cercles autour de mes yeux et des lignes sur mes joues.

"Je ne saurai pas comment l'annoncer à Angela, elle va être dévastée." A cette phrase, les larmes montèrent de nouveau, mais je pris une grande inspiration pour les empêcher de couler.

"Je vais lui dire moi." Il déclara, la voix pleine d'appréhension.

"Non non non, vous ne pouvez pas faire ça, elle me connaît mieux, peut-être qu'elle préférerait l'apprendre de ma bouche." J'avais eu comme un pic très bref d'énergie à l'idée de Korsak apprenant la nouvelle à Angela. Lui et elle ne sont pas aussi proches que nous le sommes elle et moi. Si quelqu'un devait lui dire, c'était moi. Après tout, j'étais presque de la famille maintenant.

"Maura, est-ce que vous êtes sûre? Vous n'êtes pas obligée." A ces mots, j'ai soupiré. Si j'étais obligée, ce n'était pas seulement à propos de moi. Elle a besoin d'entendre cette nouvelle qui va changer sa vie de la bouche d'une des personnes avec qui elle est la plus proche. Et peut-être que d'annoncer cela en présence de Tommy et Frankie aussi pourra être comme un soutien moral qui lui montrera qu'on est tous dans la même situation maintenant.

"Je lui dirais moi-même de vive voix. Elle le mérite après tout ce qu'elle fait pour tout le monde." Il acquiesça, me regardant avec inquiétude et empathie. Je venais, avec ces mots, de signer le contrat de l'annonce de mort la plus difficile de toute ma vie entière.

La Meilleure Tragédie de Notre VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant