Le temps règle tout?

34 1 0
                                    

Chapitre 7: Le temps règle tout?


Cela faisait six jours, peut-être sept; j'avais perdu la notion du temps; que je faisais des allers-retours entre ma chambre et la salle de bain. J'étais devenue comme un fantôme, avec à peine assez de force pour me lever et faire les quelques pas qui séparaient les deux pièces. Hope était venue emménager chez moi pour prendre soin de moi le temps que je passe les cinq étapes du deuil. Le premier jour, le lendemain de l'arrivée des résultats du laboratoire, j'ai passé l'étape du déni qui a été caractérisée par moi qui ne pouvais pas me résoudre à assimiler cette mort aussi inattendue que prématurée. Je m'attendais à voir Jane passer la porte à tout instant, mais bien sûr, ça n'est pas arrivé.

Puis je suis passée à l'étape de la colère. Je crois que jamais de ma vie je n'ai été aussi en colère contre quelqu'un. Je crois avoir reproché tous les maux du monde à Jane. Pourquoi avait-elle sauté? Pourquoi était-elle si têtue et irrationnelle? Pourquoi faut-il toujours qu'elle se mette en danger? Comme cette fois dans l'ascenseur avec Tasha où elle avait été inconsciente; ça lui a coûté son futur enfant. Pourquoi fallait-il qu'elle soit une aussi bonne personne? Et puis avec le temps, je me suis tournée vers des questions plus sensibles, plus personnelles. Est-ce qu'elle s'est souciée de nous? D'angela, de Frankie, de Tommy, de moi? Pourquoi fallait-il qu'elle prenne le choix inconscient de sauter dans une eau si froide, si sombre, si dangereuse et de laisser tout le monde derrière elle? J'avais tant de questions qui resteront à présent sans réponse.

La phase d'après avait été plus délicate, le marchandage. Je ne croyais en aucune divinité ou force supérieure telle que le destin ou l'univers. Mais à cet instant j'avais si mal que je me suis peut-être tournée vers tout ce qui aurait pu aider ne serait-ce qu'un peu. Ça a quand même été une expérience très particulière; moi sur mon lit, parlant toute seule, mais m'adressant à une "force" que personne ne pouvait ni voir ni toucher. J'ai demandé à ce que l'on me rende Jane, qu'on me prenne à sa place parce que je ne voulais pas passer le reste de ma vie sans elle. J'ai demandé à ce qu'il y ait eu une erreur. Tout cela, je savais très bien que ça n'arriverait jamais. Mais c'est comme si j'avais eu le besoin de l'exprimer. Comme une ultime tentative, qui m'aiderait à me persuader que je ne suis pas impuissante. Mais je sais que je le suis, impuissante, face à ce drame qui est venu bouleverser notre routine si confortable. J'ai été prise ensuite dans une vague de culpabilité, pourquoi je l'ai laissé faire? j'aurais dû m'approcher plus près de la barrière, j'aurais peut-être pu la rattraper? J'aurais dû plus la mettre en garde. j'aurais dû lui parler plus. J'aurais dû mettre les choses au clair dans la voiture pour l'interdire de mettre en danger. j'aurais dû savoir ce qu'il allait se passer. J'aurais dû...

J'étais désormais à la quatrième étape: la dépression. Je regardais le mur ou dormais toute la journée. Incapable de m'alimenter car l'appétit m'avait quitté lorsque j'ai vu cette phrase sur l'écran affichant le résultat du test ADN. Hope, néanmoins, essayait de me forcer à manger, ou de boire au minimum, pour que je ne meurs pas sur ce lit à rejouer tous les moments passés avec Jane dans ma tête. Elle me regardait pleine de tristesse dans ses yeux à la vue de mon visage et de mon corps qui avait commencé à perdre un peu de masse, dû au manque de protéines et autres substances nécessaires à la survie de l'organisme. Je repensais aux visages d'Angela, de Frankie et de Tommy. J'avais promis que je me chargerais moi-même d'annoncer la nouvelle dévastatrice à la famille. Ce que j'ai fait. Quand j'ai finalement réussi à sortir les mots décisifs marquant la disparition définitive de Jane, la scène a pris une ambiance qui m'a d'autant plus brisé le cœur. Tant de pleurs, tant de lamentations, tant de douleur et de corps serrés dans cette pièce qui semblait maintenant nous faire suffoquer. Même si annoncer la mort moi-même a été un véritable coup de poignard dans le cœur, je savais que j'avais eu raison de le leur dire moi. Je devais bien ça à Angela qui a toujours agi comme une mère à mon égard. C'était devenu comme la mère tendre et affectueuse, peut-être même un peu collante, que je n'avais jamais eu, puisque ma mère adoptive a toujours été distante et absente, même si je l'aimais.

Il ne me restait que la cinquième et dernière étape maintenant: l'acceptation. Je savais pertinemment que ce serait la phase la plus longue à arriver. J'avais même des doutes que j'allais un jour passer l'étape bien plus douloureuse qu'était la phase de dépression.

J'avais imaginé tant de choses avec Jane avant que ce drame ne se produise. On aurait continué cette vie, alternant cette fois entre le quotidien avec les enquêtes que nous résolvions toujours et les sorties que l'une de nous n'aimera pas à coup sûr; comme amener Jane à une exposition d'œuvre d'art qu'elle aurait trouvé ennuyeuse à en mourir, ou qu'elle m'emmène dans un camp d'une semaine nous soumettant à la réelle pression militaire que subissent les soldats, un enfer pour moi. Elle et moi étions si différentes mais si importantes l'une pour l'autre, comme le yin et le yang. J'étais le yang, et elle état le yin. Elle et moi on se complétait.

Je me suis levée et dirigée vers mon couloir. Être ici me permettait de retracer la plupart des mouvements que Jane a pu avoir dans la maison. Comme la fois où elle a frappé à ma porte au milieu de la nuit pour venir dormir chez moi. Cette fois où elle m'a retrouvé sur mon canapé dans un piteux état après que j'aie été droguée. Cette fois où il y a presque eu la baby shower de Lidia, avant que la jeune fille n'avoue qu'elle ne savait pas de qui était le bébé, soit du frère de Jane, Tommy, ou du père de Jane. Et un de mes souvenirs préférés: la fois où Jane et moi, nous sommes réconciliées longtemps après qu'elle ait tiré sur Paddy. Je me souviens de la sensation d'elle collée à mon corps, me serrant fort, me faisant totalement oublier toute l'animosité qui aurait pu rester après uniquement la prononciation des mots.

Je devais maintenant figurer comment j'allais appréhender la vie sans ma meilleure amie. J'étais comme lâchée seule dans la nature, seule et effrayée. Un être qui allait tout faire pour survivre.

La Meilleure Tragédie de Notre VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant