AMAHLE

11 : 𝐌𝐀𝐅𝐘𝐀𝐍𝐒

LAVINGTON , NAIROBI, KENYA
KEREN
13h22

Cela va bientôt faire dix minutes qu'il me fixe sans un mot. Son regard s'attarde sur moi avec méfiance et je remarque que son visage est dur. Je suis toujours ligotée, face à cet homme que je soupçonne être le commanditaire de toute cette mascarade. Ce n'était pas vraiment difficile de deviner qui il était. Sa prestance est différente de celle des autres : elle sent la mort. Je sais pertinemment que si l'envie lui prend, il serait capable de sortir son arme et me plomber dans la seconde. Son regard me transperce et cela me rappelle vite ma position. Rien à voir avec l'homme noir de tout à l'heure.

Il est certes dangereux, quelque chose dans son regard me hurle qu'il ne me fera rien tant qu'il n'en aura pas reçu l'ordre. En revanche son supérieur lui est sur le point de le faire. Son expression faciale est tout sauf expressive, je ne sais pas s'il fulmine ou s'il réfléchit. J'ai peur de me retrouver mêlée à quelque chose qui me dépasse. Je ne sais même pas comment je vais m'en sortir : faut-il que je m'abaisse à pleurer ou que je me contente de me taire ? Une chose est sure, peu importe ma façon de me comporter, l'issue sera la même : je meurs.

En me disant que ce sont potentiellement mes derniers instants je repense à tout ce que j'ai laissé derrière moi que ce soit mon appartement ou mon tout nouveau manteau que j'ai donné au pressing. Manteau sur lequel, j'ai renversé ma boisson, par sa faute. La question que je me pose depuis que j'ai mis les pieds ici c'est : et si je n'y étais pas allée ce jour là ?

Peut-être que rien de tout ça ne serait arrivée. Je n'aurais jamais rencontré Amahle et je serais encore libre qui sait ? J'ai bien peur que mes fesses ne se retrouvent entre deux chaises. J'ai accepté le pire et maintenant je risque de mourir pour avoir fait tout le contraire de ce que l'on m'a toujours appris à faire : obéir. Ne pas sortir pendant les heures de pauses m'aura valu une cellule pour le restant de mes jours.

Mon esprit divague et j'en viens à me demander comment ça se passe au café en ce moment. Charlie, mon boss prend de l'âge et il avait réellement besoin de moi mais je suis ici, contre mon gré. Je préfère me remémorer de doux souvenirs plutôt que de me morfondre sur mon sort. Il n'y a personne qui m'attends de toute façon, mis à part Charlie.

J'ai d'ailleurs plusieurs fois songé à mettre fin à ma petite vie il faut l'avouer. Et puis j'ai commencé à vivre pour de vrai. Je me suis redécouverte, j'ai appris à prendre soin de moi, travailler, me vider la tête et j'ai même commencé le yoga ! En somme j'ai préféré m'éloigner et fuir les idées sombres qui ternissaient mon cœur.

Ils veulent en savoir plus sur ma vie mais elle est aussi triste et insignifiante que moi. Pourquoi vouloir s'immiscer dans le passé d'autrui si ce n'est pour le détruire davantage ? Cet homme m'a parlé de mon passé comme si il en savait quelque chose. Mais la vérité c'est que je n'ai jamais eu ni père, ni mère, ni fiancé.

La voilà leur vérité.

Néanmoins, je ne le leur dirai pas. Ils n'ont qu'à me couper la langue et me la faire bouffer si cela peut abréger ma souffrance. Et quand je le dis je parle de cette pièce bien trop vide et sans vie à mon goût. Ça manque de couleur et de tableaux à tel point que je m'en perds même à visualiser cet endroit comme le ferait un logiciel d'architecture 3D. Encore une chose que j'aurais aimé faire plutôt que de me retrouver à faire couler du café. L'architecture m'a toujours passionné et je m'étais promis de dessiner ma propre maison un jour.

Regardez où je me retrouve.

Putain. Depuis ma naissance j'ai la poisse pour seul compagnon à bord de cette existence. L'homme se décide finalement à sortir son arme et la tends vers moi. Cette arme c'est la mienne ? Celle que cet homme a retrouvé chez moi. C'était prévisible qu'il en informe son patron, il ne pouvait pas prendre de risques pour moi. Je le regarde avec incompréhension sans savoir ce qu'il attend que je fasse.