2 • LEON

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LEON

À chaque séance d'entraînement, je me surprends à la chercher du regard, espérant apercevoir cette silhouette familière près du bassin. Et lorsqu'elle est là, un sentiment de calme se mêle à la fébrilité de mes exercices. C'est irrationnel, je le sais bien. Elle n'ést qu'une kinésithérapeute, une professionnelle parmi tant d'autres dans l'équipe, mais quelque chose en elle continue de me captiver.

Ce matin-là, alors que je m'apprête à plonger dans l'eau pour une nouvelle série de longueurs, je l'aperçois en grande conversation avec mon coach du TOEC, Thierry. La distance m'empêche de comprendre ce qu'ils disent, mais je peux voir le sérieux dans leurs expressions. Thaïs hoche la tête, écoutant attentivement ce que Thierry lui explique. De temps en temps, elle jette un coup d'œil vers moi, et je sens un frisson me parcourir l'échine.

Je plonge dans l'eau, laissant la fraîcheur de la piscine calmer mes nerfs. Le contact avec l'eau est toujours apaisant, une bulle où le monde extérieur disparaît. Je me concentre sur mes mouvements, sur la régularité de mes respirations, mais mon esprit revient sans cesse à cette conversation. Qu'est-ce que Thierry peut bien lui dire ?

À la fin de ma série, je touche le mur et garde à l'œil le chrono, reprenant mon souffle. Thierry s'approche, et derrière lui, je vois Thaïs qui continue d'observer. Il y a quelque chose dans son regard, une forme d'inquiétude, ou peut-être une réserve, que je n'avais pas remarqué lors de notre première rencontre.

« Léon, » commence Thierry, son ton un peu plus sec que d'habitude, « j'ai discuté avec Thaïs de ton état physique. On est à un moment crucial de ta préparation pour les Jeux. »

Je hoche la tête, ne sachant pas vraiment où il veut en venir.

« Elle a remarqué des tensions dans tes mouvements, surtout au niveau de tes épaules et de ton dos. C'est rien de grave pour l'instant, mais il faut qu'on y fasse attention. »

Mon cœur se serre légèrement. Des tensions ? Je ne ressens rien de particulier. Mais avec les Jeux qui approchent, le moindre problème peut devenir une montagne.

« D'accord, » répondis-je, essayant de garder une voix calme. « Et on fait quoi, alors ? »

Thierry jeta un coup d'œil à Thaïs avant de répondre. « On va ajuster ton programme d'entraînement. Un peu plus de récupération active, et Thaïs va s'occuper de toi pour quelques séances de kiné. Elle a de l'expérience avec ce genre de situations. »

Je regarde Thaïs, qui me répond avec un léger sourire, rassurant, mais teinté de quelque chose de plus profond, presque de la compassion.

« Ne t'inquiète pas, Léon, » dit-elle doucement. « On va s'assurer que tu sois au top de ta forme pour les Jeux. C'est juste une précaution. »

Je hoche la tête, acceptant la situation sans discuter. Mais au fond de moi, un doute commence à germer. Est-ce vraiment une simple précaution, ou y a-il quelque chose de plus sérieux que ni Thaïs ni Thierry ne veulent m'avouer ?

...

L'après-midi, après une longue séance de récupération, je rejoins Thaïs dans la salle de kinésithérapie. L'espace est baigné d'une lumière douce, apaisante, avec des murs de couleur crème et des équipements soigneusement disposés. Thaïs est en train de préparer la table de massage, ses mouvements sont précis et fluides. Quand elle m'aperçoit, elle me fit signe de m'allonger.

« On va travailler sur tes épaules et ton dos aujourd'hui, » dit-elle, ses mains déjà prêtes à commencer. « Tu me diras si tu ressens une gêne ou une douleur particulière. »

Je m'allonge sur le ventre, sentant ses mains expertes commencer à parcourir mon dos. Chaque pression, chaque mouvement est calculé, méthodique. Et pourtant, il y a une douceur dans sa manière de travailler, une attention bienveillante qui me mets en confiance.

« Comment tu te sens ? » demanda-t-elle après quelques minutes de silence.

« Ça va, » répondis-je, fermant les yeux. « Juste un peu tendu, peut-être. »

Bien sûr que je le suis mais je crois que je refuse en quelque sorte de l'admettre. Comme si le fait de ne pas s'en préoccuper voulait dire que ces tensions n'existaient pas.

Elle fait un petit bruit de compréhension, continuant son travail en silence. Mais je peux sentir qu'elle veut dire quelque chose, qu'il y a une hésitation dans l'air.

Finalement, elle parle, sa voix est basse, presque un murmure. « Léon... Je sais que ce n'est pas facile pour toi, surtout à ce moment-là de ta carrière. Mais il faut vraiment que tu écoutes ton corps. Parfois, la pression qu'on se met peut nous aveugler sur ce qui se passe réellement. »

Ses mots me touchent plus que je ne l'aurais cru. Elle n'a pas tort. Je suis tellement concentré sur l'objectif, sur la ligne d'arrivée, que j'oublie parfois de m'arrêter pour vérifier si tout va bien. Je pense toujours que je peux pousser plus loin, que je peux ignorer les signaux d'alarme.

« Je comprends, » murmurai-je en retour. « C'est juste... les Jeux, c'est tout ce que j'ai en tête en ce moment. Je ne peux pas me permettre de ralentir. »

« Et tu n'as pas à le faire, » répondit-elle doucement. « Mais il faut que tu trouves un équilibre. Si tu te brûles maintenant, tu n'arriveras pas à la ligne de départ en pleine forme. »

Je reste silencieux, réfléchissant à ses paroles. Elle parle avec une telle assurance, une telle sagesse, comme si elle connaissait parfaitement ce combat intérieur que je mène. Et peut-être qu'elle le connaît vraiment. Après tout, elle avait été là, elle aussi, à une époque.

« Thaïs, » je commence, hésitant. « Je sais que tu as eu une petite carrière avant... enfin, avant de devenir kiné. Est-ce que c'est pour ça que tu as arrêté ? Parce que tu ne t'es pas écoutée ? »

Elle arrête un instant ses mouvements, et je sens ses mains se poser légèrement sur mes épaules, comme si elle pesait ses mots.

« En partie, oui, » finit-elle par dire, sa voix teintée de regrets. « J'ai ignoré des signes, j'ai poussé trop loin, et j'en ai payé le prix. C'est pour ça que je fais ce que je fais maintenant. Je ne veux pas que ça arrive à d'autres. Surtout pas à quelqu'un comme toi. »

Ses mots résonnent en moi, emplis de gravité et d'une sincérité désarmante. Il y a tant de choses que je veux lui demander, tant de détails de son passé que j'ai envie de comprendre. Mais avant que je puisse aller plus loin, elle reprend ses gestes professionnels, se concentrant de nouveau sur mon dos.

Après la séance, je me redresse lentement, sentant mes muscles relâchés mais mon esprit en proie à une certaine confusion. Thaïs me regarde, son expression douce mais sérieuse.

« Prends soin de toi, Léon. Je suis là pour t'aider à atteindre tes objectifs, mais il faut que tu y mettes du tien aussi. »

Je hoche la tête, prenant une grande inspiration. « Merci, Thaïs. Je vais faire attention. Promis. »

Elle sourit, un sourire qui semblait à la fois rassurant et empreint de tristesse. « On se revoit demain pour une autre séance. »

En quittant la salle, je me sens plus léger physiquement, mais plus lourd intérieurement. Les mots de Thaïs résonnent encore dans ma tête, et pour la première fois depuis longtemps, je commence à douter. Pas de ma capacité à réussir, mais de la manière dont je m'y prend. 

A Contre Courant / Léon MarchandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant