Crush ?

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Abi n'avait jamais eu de crush sur aucun de ses profs au collège ou au lycée, ni même à l'université. C'était presque par principe qu'elle décriait tout rapprochement avec un prof, même si c'était purement amical. Lorsqu'elle pensait aux profs, elle pensait à leurs vestes trop larges et démodés, aux coupes ringardes, aux cheveux blancs (ou le début de calvitie). Rien de tout ce que lui évoquait le mot "prof" n'était attirant à ses yeux. En bref, elle n'était pas friande des profs en général et de ce qu'ils représentaient. Pourtant depuis que monsieur Symon avait commencé à leur donner cours, dans son costume trois-quarts et ses mocassins noirs vernis, elle commençait à comprendre les élèves qui avaient le béguin pour leur professeur. Elle détestait se faire remarquer par les profs habituellement, même si c'était parce qu'elle avait de bonnes notes, elle se rappellerait toujours de sa professeur d'anglais en terminal qui lui avait tapé l'affiche devant tout le monde après qu'elle ait eu la meilleure note à une évaluation en disant haut et fort pour que tous ses camarades l'entendent, et en la montrant du doigt "Elle est discrète, mais très efficace." Abigail l'avait maudit intérieurement.
Mais au jour d'aujourd'hui, elle était déterminée à ce que monsieur Symon la remarque, qu'il oublie l'incident avec la pomme, et qu'il la voie comme une élève capable.

Pour qu'il fasse attention à elle c'était simple, elle devait devenir la meilleure de sa promo. Meilleure que Clara et surtout, meilleure que Dimitri. Elle avait commencé à être pro-active, et à prendre sa pratique de la magie plus au sérieux.

Elle choisissait également toujours ses tenues minutieusement lorsqu'elle savait qu'elle allait avoir cours avec monsieur Symon. 

Ce soir-là elle se décida pour un haut blanc avec des manches en dentelles, qui laissait voir de la peau mais tout en subtilité. Vu que les enseignements de l'académie étaient aussi basés sur la Bible chrétienne en plus de la Bible des magiciens, ils ne pouvaient pas s'habiller comme bon leur semblait et devaient éviter les tenues aguicheuses ou provocatrices. La pudicité était l'une des valeurs qu'ils encourageaient.

Elle se rendit au centre et tomba nez-à-nez avec l'assistante au rez-de-chaussée, lorsqu'elle sonna à l'interphone. Ce n'était pas Nadine aujourd'hui, mais une ancienne élève. 

Une fois à l'étage, Clara la félicita sur son haut. "Comme c'est joli." 

 "Ce n'est pas la première fois que je le mets." fit remarquer Abi.

"Mais aujourd'hui tu as l'air plus rayonnante que d'habitude."

Une fois dans la salle, ils prirent place et se levèrent lorsqu'il fut temps d'accueillir leur instructeur.

Il fit son entrée en même temps que l'assistante leur rappelait l'importance de se lever pour accueillir leur professeur et de se montrer respectueux, et il s'exécutèrent dans le même temps. Pendant deux bonnes secondes, tandis que les élèves devaient lui dire bonjour et courber l'échine tous en cœur, il balaya la classe du regard et s'arrêta sur le haut de Abigail, son regard s'attarda sur la dentelle de ses manches, puis sur son pantalon en daim. C'est comme s'il était ailleurs, et ne prêtait plus attention à ce qui se passait autour de lui.
Les anglophones appelaient cela le "elevator stare" lorsque quelqu'un vous regardait de haut en bas, de manière insistante, Abi avait appris ça sur un subreddit qui tournait autour du langage corporel (ou body language en anglais, ses notions en anglais avait doublé son vocabulaire car elle trouvait dans d'autres langues des termes qui n'existaient pas dans la sienne).

Hé ben quoi, tu avais choisi cette tenue exprès pour qu'il te remarque, se dit-elle.

Mais Abi ne pouvait s'empêcher de ressentir un sentiment de malaise profond. Ca devait se lire sur son visage. Elle se sentait comme un insecte qui avait voulu aller un peu trop près du feu et avait fini par se brûler. Ou comme si on lui avait balancé un seau d'eau froide sur la tête.

Certes elle avait voulu que son prof lui prête attention, mais elle ne pensait pas que ça marcherait. D'autant plus qu'elle s'était nettement améliorée dans sa pratique de la magie blanche (elle était sans emploi et pouvait s'entrainer toute la journée) ce qui n'avait pas non plus échappé à l'instructeur. Désormais, Monsieur Symon ne cessait de l'interroger, allant même jusqu'à appeler une autre élève par son nom une fois.

Le soir-même, il posa une question aux élèves durant le cours, et le premier nom qui sortit de sa bouche fut encore celui d'Abigail. Celle-ci se raidit et garda le visage fermé, elle répondit brièvement: "Je ne sais pas." pour que l'attention se porte sur quelqu'un d'autre.

Elle qui avait fait tant d'efforts pour se démarquer voulait maintenant se fondre dans la masse, et que l'instructeur l'oublie.

Elle arriva en retard au cours suivant, l'instructeur était accoudé à une table dans le couloir avec un autre enseignant, le temps que l'assistante fasse l'introduction du cours.

Elle essaya d'ouvrir la porte à la volée et de s'immiscer dans la salle le plus vite possible, mais monsieur Symon retint la porte.

"Hey, Abigail, tu ne dis pas bonjour ? Ce sont les règles basiques de cette académie."

"Mais je l'ai dit..."

Il lui lança un regard sombre qui disait: ne me prends pas pour un idiot.

"Tu as l'air stressée..."

"J'ai passé une semaine difficile." répondit Abi qui voulait le pacifier et attirer sa sympathie. Et ce n'était pas un mensonge, ses règles n'allaient pas tarder à arriver et son syndrome prémenstruel battait son plein et la rendait léthargique. 

Son excuse marcha pour amadouer un peu l'instructeur qui lui assura qu'il n'y avait pas à s'en faire et qu'elle devait souffler un coup et laisser ses soucis derrière elle. Il la laissa finalement entrer.

Elle ne parla à personne de cette entrevue, sauf à sa mère.

Elle parla également à sa mère de la fois où elle avait surpris l'instructeur à la regarder de manière lascive.

"C'est inapproprié, dit-elle. Surtout venant de quelqu'un qui prétend être notre "père spirituel". C'est comme si on était à l'église et qu'un prêtre mâtait les meufs qui venaient à la messe."

Surtout que monsieur Symon leur avait une fois dit qu'on péchait souvent avec nos yeux.

                                                                "Il a péché avec ses yeux."

"Ce n'est pas parce que c'est un prêtre que ce n'est pas un homme." rétorqua sa mère qui s'éventait avec un éventail qu'elle avait trouvé au supermarché, avec des caractères chinois et des paysages de cerisiers en fleurs dessus.

"Il est censé montrer l'exemple." affirma Abi.

Leur examen qui faisait partie de leur contrôle continu n'allait pas tarder à arriver, et les esprits commençaient à s'échauffer tandis que le stress montait.
Abigail observait ses congénères, tous avaient progressé, mais aucun n'était encore à un niveau qui leur permettait d'être considérés comme un magicien confirmé. Beaucoup se tournaient vers les personnes qui les encadraient pour des conseils ou avoir des astuces qui leur permettraient d'améliorer leur pratique de la magie.

"Lorsque vous serez diplômés de cette académie, ce ne sera que le commencement croyez-moi. Il ya des tas de connaissances et d'informations qu'on ne vous donne pas car vous devez le voir de vous-même pour le croire."

"Les magiciens confirmés, se réunissent souvent dans des bals et autres conférences qui leur sont réservés et dont eux seuls connaissent l'existence. Ils se déroulent dans des endroits reculés ou dans les endroits cachés de la ville."

Chaque fois qu'un cours prenait fin, les élèves se ruaient généralement vers l'instructeur pour lui poser des questions en tout genre et bénéficier de sa sagesse. Abigail comprenait leur engouement car elle éprouvait la même admiration pour leur professeur, mais depuis qu'elle avait mis cette maudite chemise blanche, ça avait entaché l'opinion qu'elle s'était faite de lui. Elle avait du mal maintenant à le voir comme la figure "paternelle" qu'il prétendait être pour eux. Et elle ne passait plus autant de temps à tenter de se démarquer des autres en travaillant à fond sa magie, elle voulait juste éviter toute interaction avec l'instructeur.



L'Orée du CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant