Chapitre 9 : Auguste est un prénom

130 3 2
                                    


Chapitre 9 : Auguste est un prénom

Marge venait de procéder à un remboursement toute seule, sans avoir besoin d'appeler Nancy à l'aide. Heureusement, car Nancy était déjà rentrée chez elle. Une fin de journée prématurée en guise de cadeau de la part de Sandrine, destiné à compenser l'incartade de sa fille la veille. Bien que Sandrine fût encore en colère contre Marge, elle s'efforçait de ne rien laisser paraître devant les clients, se contentant de lui parler d'une manière particulièrement sèche. L'ambiance de la journée était donc restée morose. Heureusement, "Chemise-Pas-Repassée" vint égayer la fin du quart de Marge. La boutique était désormais vide, et il se permettait de bavarder avec elle à la caisse. Peu à son avantage en fin de journée, entre la fatigue et l'évaporation des dernières traces de maquillage, Marge appréciait néanmoins cette distraction bienvenue.

— Et vous allez faire quoi ce soir ? demanda-t-il.
— Dormir, répondit Marge. Regarder une série et m'écrouler de fatigue. Et vous ?
— La même chose. Une suggestion de bonne série ?

Marge réfléchit à toute vitesse. Pas question de mentionner son programme du moment, une série à l'eau de rose plutôt limitée. Pourquoi ne regardait-elle pas plutôt les programmes d'Arte ? "Chemise-Pas-Repassée", avec son vélo et ses pois cassés, devait sûrement être amateur du genre. Avant même qu'elle puisse répondre, elle entendit sa mère l'appeler. Ce jour-là, elle portait un gilet vert orné d'un motif de trèfles.

— Marge, tu peux fermer le...
Elle s'arrêta en voyant le dernier client.
— Oh, Auguste, je suis désolée, je ne vous avais pas vu.

Auguste ! "Chemise-Pas-Repassée" avait un nom. Le surnom allait sûrement manquer à Marge.

— Je file, répondit-il avec un sourire. À bientôt... Marge.

Marge le regarda sortir. Lui avait-il demandé ce qu'elle faisait ce soir ? Avait-il tenté une approche ? Pire encore, Marge avait-elle manqué une opportunité ?

— Ça, c'est une technique pour évacuer le dernier client, dévoila Sandrine en fermant le rideau de fer.
— Faire semblant de ne pas le voir ?
— Exactement. Je vais compter la caisse, tu peux finir de nettoyer en attendant.

Marge termina, ou plutôt bâcla rapidement sa tâche et rejoignit sa mère dans le bureau, espérant qu'elle lui propose de rentrer chez elle.

— J'ai fini, dit Marge.

Son téléphone vibra à cet instant. Elle se précipita dessus, mais ce n'était pas Marc. Seulement Arnaud, qui lui souhaitait une bonne soirée.

— Marc t'a renvoyé un message ? demanda Sandrine.
— Ça ne te regarde pas.
— Si tu as encore un ex qui porte plainte, ça va me concerner, répondit froidement Sandrine en continuant de trier les billets.
— La plainte a été retirée, rappela Marge, agacée.

Elle était désormais beaucoup plus mesurée dans la quantité de messages qu'elle envoyait à Marc. Depuis ce matin, elle n'en avait envoyé que quatre. Une telle pondération n'avait pas toujours été dans ses habitudes.

— Tu lui cherches un remplaçant ? demanda Sandrine, les yeux toujours fixés sur les billets.

Marge serra les poings. Ce n'était pas sa fille qu'elle cherchait à protéger, mais les ex de Marge. Tout ça en raison de quelques débordements passés.

— Ça non plus, ça ne te regarde pas.
— Tu réalises que depuis tes quinze ans, soit tu es en couple, soit tu harcèles ton ex pour qu'il revienne, jusqu'à ce qu'un nouveau prenne le relais.
— Tu ne connais pas toute ma vie, maman, râla Marge.
— Pourquoi ne resterais-tu pas célibataire un peu, sans harceler Marc ?
— Ça ne te regarde toujours pas.
— Tu pourrais te découvrir toi-même.
— Et toi, tu n'as jamais vécu avec un homme, tu as dû avoir le temps de te découvrir.
— Et c'est très bien comme ça, répondit Sandrine. Je suis certainement plus heureuse qu'un tas de femmes de ma génération, coincées dans un mariage ou qui vivent mal leur divorce.
— Au moins, elles ont essayé de construire quelque chose. Toi, tu n'as pas construit de famille.
— Toi, c'est déjà bien. Je ne m'en suis pas trop mal sortie, si on fait abstraction de ton besoin d'être conventionnelle.
— Pour beaucoup de gens, voire la plupart, être conventionnel n'est pas un défaut.
— C'est ennuyeux.

Marge sentit sa colère monter. Elle regarda sa mère, ses lèvres pincées, les yeux durs mais fatigués. Sandrine avait toujours été farouchement indépendante, refusant de se conformer aux attentes sociales. Marge, en revanche, aspirait à une vie plus traditionnelle, avec la stabilité que sa mère semblait mépriser.

— Tu sais, maman, dit Marge, ce n'est pas parce que je veux une vie différente de la tienne que je me trompe.
— Peut-être, répondit Sandrine. Ne te perds pas en essayant de correspondre à ce que tu penses que les autres attendent de toi. Tu n'as pas à construire un pseudo-idéal dicté par la société.
— Avant l'idéal, je veux au moins que mes enfants connaissent le nom de leur père.

- Ce que tu peux être pénible avec ça ! râla Sandrine.

- Parce que c'est pénible ! dit Marge.

Elle se retourna et, sans attendre l'approbation de sa mère, quitta la boutique. Son cœur battait à tout rompre, la colère et la frustration s'entremêlant en elle. La porte claqua derrière elle, marquant la fin de leur énième dispute. Toujours sur les mêmes sujets.

Dehors, l'air frais lui fit du bien. Elle respira profondément, essayant de calmer les émotions tumultueuses qui bouillonnaient en elle. Elle aimait sa mère, mais leurs visions de la vie étaient diamétralement opposées. Marge rêvait de stabilité et de repères, des choses que Sandrine avait toujours rejetées.

En marchant vers l'arrêt de bus, elle sortit son téléphone. Toujours aucun message de Marc. Elle soupira, se demandant si elle ne devrait pas, pour une fois, suivre les conseils de sa mère. Peut-être qu'un peu de temps seule, sans chercher à combler un vide, lui ferait du bien.

Pour l'instant, elle se contenta de marcher, sans que ses pensées ne puissent s'apaiser.

La Vilaine SéparationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant