Chapitre 6 : Team pois chiches

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En jetant un coup d'œil discret dans le magasin depuis la réserve, Marge aperçut Monsieur Chemise-Pas-Repassée. Et elle se pressa de revenir dans la boutique, un carton quelconque entre les mains. Elle se débrouilla pour se mettre sur son chemin et découvrit avec joie qu'il cherchait un contact.

— Bonjour, je cherche les pois cassés.

— Bonjour, répondit Marge qui n'avait pas la moindre idée d'où pouvaient se trouver les pois cassés. On va les chercher ensemble. Ils ont tendance à bien se cacher, les sacripants.

Marge se serait giflée, trouvant que sa blagounette tombait à plat. Monsieur Chemise-Pas-Repassée ne semblait pas du même avis et émit un faible son que Marge choisit d'identifier comme un petit rire. Elle l'entraîna dans le rayon des légumes secs et, après quelques recherches, trouva les pois cassés à côté des haricots secs. Un rangement d'une logique imparable. Que Chemise-Pas-Repassée ne les ait pas trouvés impliquait deux options, soit il était débile sur les bords, soit il voulait parler à Marge dans une optique de dragouille.

— Vous aimez les pois cassés ? demanda-t-elle en tendant un paquet.

Marge se serait giflée à nouveau. Où était passée la qualité de sa conversation ? Était-elle devenue incapable de former une phrase entière sans évoquer les légumes secs ?

— Oui, dit-il. Et vous ?

— Je suis plutôt team pois chiche, dit Marge. En samoussa avec des noix.

Apparemment non, Marge ne pouvait plus former une phrase sans parler de légumes secs.

— Ça a l'air bon, ça, dit-il. Vous m'en ferez à l'occasion.

Marge lui sourit. Elle n'avait jamais fait de samoussa aux pois chiches de sa vie, c'était une recette de Marc, mais elle pouvait toujours trouver un tuto sur internet et s'entraîner.

— Avec plaisir, dit Marge.

Après un nouveau sourire, Chemise-Pas-Repassée s'éloigna vers la caisse. Marge eut une vision fugace. Chemise-Pas-Repassée revenait en arrière, l'embrassait follement et l'entraînait vers la réserve. Il la basculait sur la palette d'huile de sésame et... Et Marge ne put imaginer la suite, sa mère venait d'apparaître devant elle. Son gilet orange agressait les yeux de quiconque osait regarder dans sa direction.

— Mais qu'est-ce que tu fais ?

— Je pensais à l'huile de sésame dans la réserve.

— Qu'est-ce qu'elle a l'huile de sésame ?

— Je ne vais pas pouvoir tout mettre en rayon. Il n'y aura pas de place.

— C'est à ça que servent les étagères de la réserve. À stocker les produits que l'on n'a pas la place de mettre en rayon, rappela Sandrine, agacée. Occupe-toi d'abord des concombres. Et s'il te plaît, ne mets pas une étiquette « courgette » devant eux.

— Je sais faire la différence entre une courgette et un concombre.

Sandrine et son gilet orange s'éloignèrent, et Marge sortit son téléphone à la recherche des différences entre courgette et concombre.

Cette nouvelle tâche accomplie, Nancy, qui souhaitait s'éloigner de tous ragots, vint vers Marge avec un ragot.

— Notre célébrité locale est là, Bruno, dit-elle en désignant un homme équipé d'un sac en plastique.

— Pourquoi célébrité ?

— Il a participé à "L'amour est dans le pré", il y a de ça dix ans. Juste après avoir installé son exploitation. À croire qu'il est devenu agriculteur juste pour participer à l'émission.

Marge, étant une fidèle du programme télévisuel, observa l'agriculteur sans parvenir à se souvenir de sa participation.

— C'était un candidat oubliable. Pas de clash, pas de grand amour, expliqua Nancy lorsque Marge lui fit part de son impression. Je pense que l'émission a voulu réduire son temps à l'antenne. Ils ont dû découvrir son penchant pour le Ricard.

Les deux jeunes femmes observaient discrètement Bruno l'agriculteur. Elles durent conclure que leur technique discrète n'était pas si discrète quand une cliente s'arrêta à leur niveau pour observer dans la même direction. Sandrine fut encore moins discrète que ses employées lorsqu'elle tomba par hasard sur Bruno dans un rayon. Choquée par la présence de la célébrité dans sa boutique, elle fit tomber les boîtes de biscuits aux flocons d'avoine. Bruno l'aida à ramasser et tous deux discutèrent quelques courtes minutes.

— C'est un fournisseur ? demanda Marge.

— Non, il fait dans les céréales pour bovins, expliqua Nancy. On est loin du « bios, bons et locaux ». Son maïs n'est pas vraiment éthique. C'est un ancien marin, personne n'a compris pourquoi il se lançait là-dedans.

Le spectacle de la célébrité perdit son attrait aux yeux de Marge, qui replongea sur son téléphone. Toujours pas de nouvelles de Marc. Mais Arnaud, son préféré de l'application, monopolisait son attention. Après une ou deux blagounettes sur l'indécision de la météo et une anecdote sur les chamois qu'il avait sans doute trouvé sur Topito, il proposa une rencontre le soir même. Une aubaine, Sandrine quitterait plus vite le travail pour emmener sa mère chez le médecin et toutes les deux devaient dîner chez une vieille amie de Claudine.

— Ça te dérange pas si je pars plus tôt ce soir ? demanda Marge.

— Le jeudi, c'est toujours un peu juste pour moi, dévoila Nancy.

Marge attendit patiemment avec un large sourire que Nancy craque.

— Mais ça devrait aller, assura Nancy. Je vais fermer seule.

Marge se pressa de valider le rendez-vous avec Arnaud dans un bar pas très loin de la maison de Claudine, au cas où les choses tourneraient bien.

Bruno la célébrité sortit du magasin dans l'indifférence générale. Marge se retrouva abandonnée derrière la caisse sans espoir de fuite, les clients arrivaient à intervalles réguliers. Pas assez pour appeler à l'aide et abandonner le poste. Et trop pour disparaître discrètement. Elle n'avait d'autre choix que de faire ce pour quoi elle était là : travailler.

La Vilaine SéparationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant