De retour chez sa grand-mère, Marge fut surprise de voir Vadrouille, le chat, debout dans le couloir, venant à sa rencontre. D'habitude, Vadrouille ne se déplaçait que pour rejoindre sa gamelle. S'il venait à sa rencontre, cela ne pouvait signifier qu'une chose : l'une de ses trois gamelles de croquette devait être vide. Marge vérifia, mais les trois récipients étaient pleins. Pire encore, Vadrouille restait dans le couloir et miaulait. C'était la première fois que Marge entendait sa voix. L'animal avait sûrement besoin d'un vétérinaire en urgence. Marge appela immédiatement sa mère, mais celle-ci prétendit que Marge en rajoutait des tonnes. Si peu.
- Ta mamie Claudine doit être en train de faire sa sieste, et elle a fermé la porte de sa chambre, c'est tout, dit Sandrine. Vadrouille veut sûrement aller la voir.
Marge se dirigea vers la porte de la chambre.
- Effectivement, il me suit, dit Marge, étonnée.
- Il n'aime pas les portes fermées.
- Pourtant, il n'explore pas grand-chose, rétorqua Marge.
La porte de la chambre de Mamie Claudine était ouverte.
- Tu t'es trompée, elle est ouverte.
- Alors c'est une autre porte qui pose problème. Où est ta grand-mère ?
Marge poussa la porte de la chambre.
- Elle fait la sieste, comme tu l'as dit.
Vadrouille entra dans la chambre et s'assit au milieu de la pièce.
- Là, il s'est assis, commenta Marge.
Elle leva les yeux vers sa grand-mère. Le regard de Marge resta figé sur les yeux ouverts de sa grand-mère.
- Il s'est assis, très bien. Rappelle-moi quand il fera la roue, plaisanta Sandrine.
- Maman...
- Quoi, il a baillé ?
- Mamie, elle ne va pas bien.
Marge observa Mamie Claudine, les yeux mi-clos, le visage pâle et affaissé.
- comment ça, elle ne va pas bien ? demanda Sandrine, soudainement inquiète.
Marge ne répondit pas tout de suite et fit un pas en avant, sans oser s'approcher davantage du lit.
- Mamie ? appela-t-elle d'une voix basse, tout en tenant le combiné.
- Mamie ? répéta-t-elle plus fort.
- Marge, dis-moi ce qui se passe ! implora Sandrine au téléphone.
Marge sentit un froid envahir tout son corps, un frisson parcourut son corps jusqu'aux extrémités de ses doigts et ses orteils. D'un coup, Marge fit les quatre pas qui la séparait du lit et secoua le bras de sa grand-mère avec vigueur.
- Mamie ! cria-t-elle.
- Marge, j'arrive ! Qu'est-ce qui se passe ?
- Elle ne bouge plus, dit Marge. Je crois qu'elle ne respire plus.
- J'arrive, raccroche et commence un massage cardiaque et du bouche-à-bouche. Tu sais faire ça ?
- Oui, balbutia Marge, se souvenant vaguement d'une formation de la Croix-Rouge.
- J'appelle les secours, vas-y.
Le téléphone se tut. Marge aurait aimé rester en ligne avec sa mère. Massage cardiaque, bouche-à-bouche, elle savait faire. Pour le reste, elle verrait plus tard. Pour l'instant, c'était l'objectif. C'était simple.
Marge retira la couette et posa doucement l'oreiller de sa grand-mère à plat. Elle bascula la tête en arrière un peu plus brutalement que lors de la formation et souffla trois fois dans la bouche, puis joignit ses mains pour commencer le massage. Elle peinait à compter, se rappelant vaguement l'air des Bee-gees sur lequel adapter le rythme de ses mouvements. Ca avait semblé tellement simple durant la formation. Tellement joyeux d'échanger des commentaires avec Mathilde de la compta sur la tête des mannequins. La tête mamie Claudine n'avait rien de joyeux ici. Marge ne savait plus si elle avait atteint trente compressions. Elle souffla à nouveau dans la bouche de sa grand-mère, à trois reprises. Elle ne savait plus si c'était à trois reprises. ? Elle se souvenait seulement que faire battre un cœur sans oxygéner les neurones revenait à faire revenir une coquille vide. Mamie Claudine ne serait pas une coquille vide. Quinze compressions de plus, puis trois insufflations. Marge feint de ne pas remarquer les lèvres froides de Mamie Claudine. Quinze et trois de plus et encore et encore. Marge fatiguait, elle ne tenait plus.
Elle entendit la porte de l'entrée s'ouvrir.
- Madame ?
- Ici ! hurla Marge sans cesser de pousser sur le corps de sa grand-mère. Elle avait de nouveau perdu le compte.
Un homme et une femme en blouson bleu entrèrent dans la chambre.
- On prend le relais, dit l'homme en la poussant doucement.
Marge recula autant que possible pour les laisser faire. Elle les regarda sans bouger, sans prononcer le moindre mot. Elle les regarda déplacer Mamie Claudine installer un défibrillateur sur la poitrine de sa grand-mère. Après trois chocs sans résultat, Marge laissa son regard vagabonder dans la pièce. Elle aperçut Vadrouille, lui aussi s'était poussé contre l'un des murs de la maison. Assis, il attendait.
- C'est fini, annonça la femme en blouson bleu.
Marge ne ressentit plus le froid qui l'avait envahie, elle le savait déjà. Elle le savait depuis son premier contact avec la peau de sa grand-mère.
- Je suis désolée, dit la femme à Marge.
Marge hocha la tête. C'est le regard du chat qui indiqua l'arrivée de Sandrine. Son gilet à trèfles à l'envers, elle entra en trombe dans la chambre.
- Maman ? demanda Sandrine.
- Maman, répondit Marge en tendant une main vers sa mère. Elle est partie.
Sandrine éclata en sanglots bruyants, et Marge l'entraîna dans le salon pendant que les secours finissaient de ranger leurs affaires.
C'est quoi la procédure ensuite ? demanda Marge.
- La procédure ? murmura Sandrine, affalée sur le canapé.
- Qu'est-ce qu'on doit faire ?
- Appeler les pompes funèbres. Les Michault.
- Il faut le faire maintenant ? demanda Marge.
- Oui.
C'était la femme du SAMU qui répondit Elle venait d'entrer dans la pièce en tendant des feuilles de papier.
- Ils viendront chercher le corps, expliqua-t-elle. Voici le certificat de décès. Vous pourrez commencer par le présenter à la mairie.
Et ensuite ? demanda Marge.
- Vous prévenez vos proches. Le reste attendra demain. Les pompes funèbres vous guideront.
- Voilà, dit Sandrine. C'est comme ça qu'il faut faire.
Elle sortit son téléphone et chercha le nom de l'entreprise déjà en mémoire.
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La Vilaine Séparation
HumorDans la vie, Marge a tout raté... même son prénom. Fraîchement larguée, sans boulot, et contrainte de squatter chez sa Mamie un brin sénile, Marge est déterminée à reconquérir son ex et à éviter la vie de célibataire avec un chat obèse.