Chapitre 4 : L'absence persistante des messages

136 4 0
                                    

Le deuxième jour de travail à l'épicerie se terminait enfin pour Marge. Elle avait vécu une journée plus mouvementée que la veille. À un moment, il y avait même eu trois clients présents en même temps dans l'établissement. De la folie.

Cependant, quelque chose la préoccupait davantage que ces nouvelles tâches quotidiennes : l'absence de réponse de Marc à ses messages. Bien qu'il soit généralement disponible les samedis, les appels et les textos de Marge étaient restés sans réponse. Il ne restait de lui que ce pouce en l'air. Peut-être avait-il eu un accident ? Peut-être était-il agonisant dans un fossé. Ou pire, peut-être était-il en compagnie d'une grognasse sympathique et belle.

Tout en paniquant devant la situation, Marge remarqua le client rencontré la veille, celui auquel elle avait offert son plus beau sourire à la camisole. Il était toujours vêtu d'une chemise pas repassée, grise cette fois. Elle se demanda brièvement s'il avait simplement oublié de repasser sa chemise ou s'il adoptait un style délibérément froissé. Il flânait autour des livres de permaculture jusqu'à ce qu'il croise le regard de Marge, armée d'une mop à cette heure proche de la fermeture. Il lui sourit et se pressa vers la caisse. Le coup de pression exercé par la mop était bien efficace pour pousser les clients vers la sortie. L'efficacité de Marge avec une mop restait en revanche à démontrer, principalement parce qu'elle s'arrêtait au moindre bip de son téléphone. Toujours pas de réponse de Marc, mais l'application de rencontres cartonnait, notamment parce que Marge avait validé presque tous les candidats proposés. Elle ne cherchait pas le grand amour, juste un pigeon pour les réseaux sociaux.

Nancy, la collègue de Marge, achevait sa journée de travail. Son mari était venu la chercher pour une sombre histoire de voiture au garage, à laquelle Marge n'avait prêté qu'une attention distraite. Elle n'avait que faire de l'embrayage qui broutait. Nancy traversa la boutique dans un sens, puis dans l'autre, avec veste et sac à main, salua à la cantonade et passa les portes de la boutique. Marge lui prêta autant d'attention qu'à l'embrayage qui broutait et se concentra sur les nouveaux profils proposés. Un très bel homme, un chouia plus jeune qu'elle, venait de lui être proposé. Du haut de gamme : un sourire ravageur, un pastis sur une photo, un cheval sur une autre. Marge le valida et découvrit immédiatement le cœur qui indiquait la réciprocité.

L'ego reboosté pour trois bonnes minutes, Marge retourna à sa mop pendant que sa mère encaissait les derniers clients. Elle referma la porte derrière une dame au style hippie dont les vêtements auraient pu venir de la garde-robe de Sandrine.

Sandrine ferma le volet roulant et regarda à travers les interstices.

— Qu'est-ce que tu regardes ?

— Tu sais que je vais avoir 55 ans, dit Sandrine.

— Oui, c'est un drame qui arrive à beaucoup de gens et un drame encore plus grave de ne pas le vivre, répondit Marge.

— Je n'ai jamais eu d'expérience lesbienne.

— C'est noté, dit Marge en prenant la fuite.

— Elle, c'est madame Lunel, continua Sandrine. Et je sais de source sûre que...

— Je ne veux pas le savoir ! cria Marge qui avait atteint la réserve.

— Ce que tu peux être prude ! cria sa mère en rejoignant la caisse. Je ne veux juste pas mourir idiote ! Imagine que je découvre à mon âge que finalement j'aime lécher des...

— Je ne veux pas le savoir ! répéta Marge en allumant le poste de radio de la réserve.

"Dancing Queen" d'ABBA ne parvenait pas à faire oublier à Marge l'obscénité de ce qu'elle venait d'entendre. L'acte sexuel d'autrui ne lui posait aucun problème, à condition qu'il ne concerne pas sa mère.


---------------


Un dimanche à Visnonia avait toujours été comme une longue plainte qui s'éternisait toute la journée. Du moins du point de vue de Marge. Du point de vue de sa mère aussi, même si elle ne l'avouerait jamais. Sandrine ne s'était jamais sentie proche de sa mère malgré toute la sympathie de celle-ci. Sandrine avait un grand sens du devoir familial et s'imposait régulièrement des visites à ses parents. Puis uniquement à sa mère après le décès de son père. Et, bien évidemment, dès que sa fille était dans le coin, elle poussait Marge dans la vieille maison sombre. Une plaie pour la volontaire Sandrine, un plaisir pour sa fille Marge qui aimait la sérénité inchangée de la vieille maison. Qu'elle ait emménagé chez sa grand-mère ne changeait rien aux habitudes de la famille, et Sandrine se présenta après le déjeuner pour faire une inspection des locaux.

Marge observa sa mère remplir d'eau et de croquettes les distributeurs automatiques de Vadrouille.

— C'est pour quoi ce gadget ? demanda Marge.

— Pour être sûre que Vadrouille mange, rétorqua Sandrine.

— Mamie le nourrit tous les matins. Il a des croquettes bien fraîches et moi des céréales molles et des biscottes vertes.

— Voilà qui est rassurant.

— Pas les biscottes vertes.

— C'est rassurant qu'elle pense à la survie du chat.

— Vadrouille a quelques réserves, encore plus depuis qu'il est nourri deux fois plus. Mamie pense plus au chat qu'à la survie de sa petite-fille. Ou de Joséphine, c'est comme ça qu'elle m'a appelée aujourd'hui.

— C'était le prénom de sa sœur. Moi, elle m'a appelée par ton prénom.

Marge n'était pas certaine de très bien prendre cette nouvelle information.

Vadrouille apparut devant le plat de croquettes sans que Marge ne le voie arriver. Son bidon touchait presque le sol. Le pauvre Vadrouille ne vadrouillait plus depuis longtemps.

— Qui va s'occuper de lui quand Mamie ira à l'EHPAD ?

— Toi, décida Sandrine.

— Ah non, Marc n'aime pas les chats.

Sandrine se redressa et toisa sa fille, la mine sombre.

— Tu ne vas pas nous refaire le coup. Tu es adulte maintenant.

— Je ne refais rien du tout.

— C'est fini et bien fini avec Marc, il t'a quittée et t'a virée de son appartement. Il a été très patient. Tu dois passer à autre chose.

— Ça ne fait que trois jours.

— Ça fait sept mois, corrigea froidement Sandrine. Sept mois sans que tu ne daignes bouger tes affaires. Sept mois avant qu'il ne craque et appelle son ex-belle-mère au secours.

— Il a exagéré.

— Je te connais et ce n'est pas ta première rupture. Tu lui as envoyé combien de messages depuis ton départ ? Combien d'appels ?

— Pas tant que ça, s'agaça Marge.

Sandrine fronça les sourcils et ne répondit rien de plus, retournant son attention sur Vadrouille. La réponse était 77 messages et 21 appels. Marge notait un certain progrès dans la diminution. Sa mère aussi exagérait, tout ça parce qu'elle avait été un peu obsessionnelle avec ses anciens petits amis.

La Vilaine SéparationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant