Chapitre 11 : Sentir le parfum de la révélation

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En ce dimanche de mai, la traditionnelle sortie dominicale était inévitable. Les trois femmes LeCossec avaient opté pour une visite du Jardin du Thabor, au cœur de Rennes. Un choix imposé par Sandrine, qui souhaitait humer le parfum des roses. Marge, qui n'avait rien envie d'humer, aurait préféré rester à la maison, sous la couette, avec le programme télévisé le plus débile possible. Le soleil, s'étant allié avec sa mère, Marge n'eut d'autre choix que de suivre le mouvement. Une fois de plus, elle avait manqué de se tuer, ou de tuer Vadrouille au choix, le chat, qui s'était confortablement installé sur le paillasson devant la porte d'entrée. Sandrine éloigna l'obstacle en déplaçant ledit paillasson, tandis que sa fille jurait plus fort qu'un charretier parisien.

De leur récente dispute, Marge et Sandrine ne parlèrent pas. C'était leur mode de fonctionnement : elles s'engueulaient, puis la vie reprenait son cours. Elles auraient tout à fait l'occasion de reprendre la dispute et ses thèmes abordés à n'importe quel moment. Il était presque 15 heures lorsque la famille se gara péniblement entre deux voitures. Visiblement, la moitié de la population semblait avoir eu la même idée que les LeCossec.

Arrivées devant les roses, Sandrine fit son numéro habituel, s'extasiant devant chaque fleur. Marge consulta une nouvelle fois son téléphone. Aucun message de Marc. Elle réalisa alors qu'elle n'avait pas envoyé de message depuis la veille. Pour la première fois depuis son départ, elle n'en ressentait pas l'envie. Arnaud, en revanche, malgré les messages de la veille où il déclarait son amour à sa femme Nancy, avait tenté de lui écrire pour se faire inviter chez elle, comme prévu initialement. Marge l'avait ignoré.

— Sentez-moi ça ! s'exclama Sandrine en pointant une rose blanche.

Marge s'exécuta, et bien que le parfum fût agréable, elle s'en fichait, tout comme sa grand-mère qui tordait nerveusement ses doigts entre eux. Sandrine était déjà plus loin, en quête d'un nouveau parfum.

— Joséphine ! murmura brusquement Mamie Claudine. Il se passe quelque chose de grave.

Marge se tourna vers sa grand-mère, les yeux remplis d'inquiétude.

— Qu'est-ce qui t'arrive ?

— J'ai perdu les boucles d'oreilles de maman, celles avec les perles.

Marge lui sourit, essayant de la rassurer.

— Ne t'inquiète pas, Huguette est morte depuis 30 ans. Elle s'en fiche maintenant.

— Ah, bah ça va alors, dit Claudine.

Claudine ne semblait pas convaincue et observait Sandrine d'un œil surpris lorsqu'elle revint. Prenait-elle encore une fois sa fille pour sa propre mère ?

— Et si nous allions voir les iris maintenant ? déclara Sandrine.

Marge et Claudine acquiescèrent et la suivirent dans les allées.

— Joséphine, murmura à nouveau Claudine en tirant le bras de sa petite-fille.

— Marge, corrigea-t-elle sans conviction.

— C'est grave.

— Oui, répondit Marge, tu as perdu les boucles d'oreilles de Mamie Huguette. Mais ce n'est pas grave, je t'assure.

— Mais je les ai perdues chez Gilbert ! gémit Claudine.

— Eh bien, ce n'est pas grave, dit Marge. Il te les rendra au travail.

— Je ne travaille plus là-bas, tu sais bien.

— Ah, dit Marge.

L'esprit de Marge s'embrouillait, pas autant que celui de sa grand-mère, mais tout de même. Pourquoi Claudine irait-elle chez Gilbert, son ancien patron, si elle ne travaillait plus avec lui ? Et comment aurait-elle pu y perdre des boucles d'oreilles ? La conclusion semblait évidente, mais Marge avait-elle vraiment envie de la connaître ? Peut-être pas, mais Sandrine, qui n'avait pas perdu une miette de la conversation malgré l'attraction des iris, était bien décidée à connaître le fin mot de l'histoire.

— Qu'est-ce que tu faisais chez Gilbert ?

Claudine sursauta et se tourna vers Marge.

— Joséphine, c'est qui celle-là ?

— C'est Sandrine.

— Non, Sandrine est toute petite.

— C'est que ça grandit vite à cet âge-là, expliqua Marge.

— Et c'est le portrait craché de Gilbert, avoua Mamie Claudine.

Sandrine semblait perdre d'un coup toutes les couleurs de son visage.

— Comment ça ? demanda-t-elle.

Marge regarda tour à tour sa mère et sa grand-mère, se demandant si elle devait laisser cette conversation se poursuivre.

— Ça va finir par se voir, Sandrine ressemble tellement à son père.

— Sandrine ressemble à son père Gilbert ? demanda Marge.

— Oui, tellement !

Marge eut brusquement le tournis. Entre les iris et les roses du Thabor, elle n'était absolument pas prête pour une telle révélation. Sa mère encore moins. Sandrine ressentit un besoin urgent de s'asseoir. Une fois sur un banc, elle reprit l'interrogatoire.

— Tu vois souvent Gilbert ?

— Tous les jeudis.

— Je croyais que tu allais à la broderie avec tata Joséphine le jeudi, dit Sandrine d'une voix lointaine.

Claudine haussa les épaules.

— J'en connais d'autres qui ont tennis, ne put s'empêcher de dire Marge.

Lointaine, Sandrine leva la tête vers sa fille, puis se reconcentra sur sa mère. Elle n'ajouta rien, incapable de poursuivre. La curiosité de Marge était désormais piquée, il fallait obtenir les révélations de Mamie Claudine tant qu'elle était en forme et disposée à faire des révélations fracassantes sur leur génétique.

— Résumons, Sandrine est la fille de Gilbert que tu connais depuis longtemps, avant Joseph, et pourtant, tu as épousé Joseph. Pourquoi ?

— Je ne supporterais pas de vivre avec Gilbert, expliqua Claudine. Et puis, de toute façon, il n'en a pas envie. Il préfère rester avec sa femme.

— Ah oui, y'a ça aussi. Il a d'autres enfants, Gilbert ? demanda Marge.

— Ah oui, deux.

Sandrine poussa un gémissement plaintif. Marge lui laissa le temps d'évacuer ce son curieux avant de reprendre son interrogatoire.

— Et avec Gilbert, vous continuez de vous voir parce que ? demanda Marge.

— Parce qu'on s'aime ! On ne se supporte pas, mais on s'aime.

— Logique, dit Marge, atterrée.

— On va rentrer, dit Sandrine, à bout de nerfs.

— Tu ne veux pas renifler les pivoines ?

— Ce n'est pas le moment de faire ton numéro, pesta Sandrine.

— Et ce n'est pas la saison, ajouta Claudine.

Dans la voiture, un silence de plomb emplit l'habitacle. Marge finit par le rompre :

— Et Gilbert, il est encore vivant ?

Elle s'adressait à sa mère, mais c'est sa grand-mère qui répondit.

— Non, il est mort en 99, dans un accident de voiture.

Mamie Claudine était revenue dans le bon siècle.

La Vilaine SéparationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant