Chapitre 16 : Le changement s'est bien aussi

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Le lendemain, alors qu'elle réapprovisionnait le rayon des boîtes d'allumettes dans les rayons de l'épicerie, Marge reçut un message vocal de l'employeur qui lui avait fait passer un entretien. Ils voulaient la revoir pour lui présenter d'autres personnes, ce lundi. Malheureusement, ce jour-là, Marge travaillait à l'épicerie. Elle n'avait pas d'autre choix que de demander à sa mère de lui accorder quelques heures de liberté.

Sandrine, sa mère, était en train de se battre avec un trombone coincé dans le système d'ouverture de la caisse. Elle essayait de le déloger avec un autre trombone.

— J'aurais besoin de mon lundi après-midi, dit Marge. On peut changer mes horaires ?

— Si tu veux, tu viendras à 7 heures pour la livraison mardi matin.

Marge rechigna à l'idée de renoncer à quelques heures de sommeil. La pensée de rater son entretien pour dormir deux heures de plus le mardi matin lui traversa l'esprit.

— C'est pour un entretien d'embauche.

— C'est super, dit Sandrine avec sincérité.

Marge ne fut presque pas surprise de voir sa mère ravie à l'idée qu'elle puisse quitter l'épicerie familiale.

— Si ça marche, je vais devoir quitter l'épicerie.

— C'était temporaire, rappela Sandrine, son attention toujours fixée sur le trombone. On le savait très bien.

— J'aurais pu aider un peu plus...

— Tu n'aides pas tant que ça. Disons que tu fais acte de présence, dit Sandrine. Tu es plutôt nulle comme commerçante.

— Merci, Maman.

— De rien, ma fille, dit Sandrine en brandissant victorieusement le trombone fautif.

— Je retourne à mes allumettes, dit Marge.

— Tu feras les sardines après.

— Je vais bien les serrer, répondit Marge d'un ton plat.

Elle regarda sa mère qui ne l'écoutait déjà plus, mais entendit un rire provenant de derrière elle. Auguste Chemise-Pas-Repassée, la salua depuis le rayon des pommes de terre. Marge lui offrit son plus beau sourire avant d'aller chercher les boîtes de sardines dans la réserve. Elle était pourtant presque sûre de les avoir cachées pour que sa mère oublie de lui demander de s'en occuper.

Auguste Chemise-Pas-Repassée était déjà dans le rayon des conserves, concentré sur les maquereaux. Ils échangèrent un sourire niais, et Marge, le carton en équilibre, commença à remplir le rayon. Auguste se retourna vers elle, comme s'il voulait lui parler, mais il changea d'avis et reporta son attention sur les maquereaux. Il répéta ce manège une ou deux fois, à la troisième, il avait enfin trouvé ses mots.

— Tu quittes l'épicerie ?

— Pas encore, dit Marge. Mais c'est le projet. Je ne fais que dépanner.

C'était surtout Marge que ça dépannait. Avoir un travail lui permettait de chercher plus facilement un appartement. Et accessoirement, se préparer un petit pécule pour la suite de son installation future.

— Ah, je... je pensais que c'était déjà acté, hasarda-t-il, soulagé.

Marge lui sourit à nouveau et fit un signe négatif de la tête.

— La semaine prochaine, avec un peu de chance, dit-elle.

— Ah bon ?

Auguste Chemise-Pas-Repassée semblait de plus en plus maladroit. Marge venait de finir de vider son carton. Les piles de sardines étaient disposées en équilibre précaire.

— Je suis encore désolé pour ta grand-mère, dit-il.

— Oui, merci.

— C'est un peu indélicat de ma part, surtout que tu as enterré ta grand-mère hier, dit-il en triturant la poignée de son panier de courses. Mais si tu pars du jour au lendemain, je m'en voudrais et...

Visiblement, il ne savait plus comment terminer sa phrase. Marge regarda autour d'eux. Ils étaient invisibles depuis ce rayon. Auguste observait Marge, qui elle-même observait les alentours, et un sourire se dessina sur son visage. La seconde d'après, entre les sardines et les maquereaux, dos au cassoulet, Marge et Auguste s'embrassèrent enfin, après des semaines de flirt alimentaire.

Un bruit les interrompit, les faisant cesser leur activité ô combien attendu.

— Mon numéro, dit brusquement Auguste Chemise-Pas-Repassée. Je te le donne.

Ils échangèrent leurs numéros. Auguste prit deux boîtes de sardines et se précipita vers la caisse avec un sourire niais.

Marge réarrangea la pile de sardines, la laissant encore plus instable qu'elle ne l'était déjà, arborant le même sourire abruti.

Marge remplissait à nouveau sa voiture de cartons, ajoutant cette fois quelques meubles hérités de sa grand-mère. Il était temps de commencer à vider la maison. Elle avait trouvé un petit appartement près de son nouvel emploi. Elle s'éloignait de Visnonia de trop minuscules kilomètres à son goût, mais restait suffisamment proche de son nouveau et très officiel petit ami.

Auguste, l'amoureux, était une perle de gentillesse, et Marge lui avait finalement préparé des samoussas aux pois chiches, même si — sans surprise — elle les avait ratés. Ils avaient fait l'amour quatorze fois. Oui, elle avait compté et continuerait de le faire. Leur relation avait mis un peu de temps à décoller, ce qu'Auguste avait pris pour de l'intégrité morale chez Marge. Mais il découvrit rapidement que ce n'était pas le cas. Marge avait simplement eu ses règles pile pendant leur première semaine de rendez-vous.

Elle déposa la cage de Vadrouille sur le sol. Immédiatement, le chat tenta de fuir, trottinant maladroitement avant de se coincer sous un meuble trop bas. Marge le délogea sans difficulté. Le remettre dans la cage fut plus ardu.

— Tu seras bien, j'ai pris un rez-de-chaussée avec terrasse, lui dit-elle.

L'animal s'aventurait rarement à l'extérieur, sauf pour s'allonger sur le paillasson. Marge enclencha la marche arrière et jeta un dernier regard à la maison, à laquelle elle reviendrait dès le lendemain pour récupérer d'autres affaires. Vadrouille se réveilla et émit un long miaulement plaintif.

— Ne t'inquiète pas, dit Marge. On sera bien. Le changement, c'est bien aussi.

Fin

La Vilaine SéparationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant