[Alya] Une nuit sous les orchidées

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À chaque nouvelle, j'ai toujours été sous le porche de la maison des Protecteurs. J'y étais à mon admission à l'École du Vent, à la nomination de la Colombe, à la mort de mes parents, et à ma réussite d'examen. Alors quand l'aigle d'Ilyas se pose à mon bras au petit matin, un bout de papier accroché à la patte, je m'attends à tout.

« Retrouve-moi au crépuscule, dans l'aile ouest du Temple. Discrètement. Je t'y attendrai. »

Je n'y crois pas. À l'instant même de sa nomination comme protecteur du Fils de l'Aube, Ilyas a disparu, happé par les festivités et les mains à serrer. Il ne devrait plus avoir une minute pour souffler avant le Grand Départ pour le clan des Reptiles. Alors pourquoi m'invite-t-il aussi vite ? Il est le choisi, le gardien tout désigné. Moi, je suis juste « Alya, une protectrice de la Cité du Vent », une figurante dans l'histoire de ce siècle. Absolument tout, peu importe le clan, tourne autour du rituel de l'Aube et de Crépuscule. Moi, je n'ai qu'un rôle de second plan.

Ma main tremble. Les lettres frissonnent sous mes doigts nerveux.

« Je t'y attendrai. »

Et puis mince ! Ces trois mots balaient mes doutes et je m'empare d'un pinceau. Peu importe si je ne suis qu'une figurante. Si Ilyas, mon ami, demande à me voir, je viendrai.

Je siffle Vuela pour lui confier ma réponse. En l'absence de mes deux sœurs aînées, la pigeonne est sous ma surveillance et n'a que peu d'occupation comparé à avant. Lorsqu'elle voit le message, son plumage se dresse. Elle se cabre de joie et me tend la patte pour que j'insère le papier sous la lanière. Ainsi prête, je l'incite à s'envoler vers Ilyas. Elle le connaît, elle a souvent été le relai entre nos dortoirs.

L'impatience a beau m'envahir, je reprends ma place sous le porche pour terminer ma sculpture. À l'aide de ma griffe, la dague offerte par mon père, je taille dans le bois les yeux d'une chouette. L'oiseau préféré d'Ilyas. Il disait les envier pour leur faciliter à se déplacer la nuit, le seul moment où le futur nous appartient...

Mes doigts se resserrent autour du bois. J'espère que cela lui portera chance. Quand il quittera le territoire du clan, sa vie sera entre les mains du destin, et même si je le jalouse, je ne peux pas perdre un ami. C'est drôle... J'ai souvent imaginé ma vie en dehors du clan. Pourtant, ce sont mes proches qui partent les uns après les uns.

J'en ai la preuve irrévocable devant moi : le carnet de voyage de ma deuxième sœur, Maggie. Elle y a annoté toutes les découvertes en voyageant jusqu'à l'autre Cité du Vent. Elle aurait pu le donner aux archivistes, mais elle me l'a laissé pour : « que je découvre un aperçu du monde ». C'est certainement le plus beau cadeau, et celui qui me donne le plus envie de me dépasser pour découvrir ce qui se cache à l'extérieur.

Je polis le bois avec attention. Le calme ambiant du porche ne me surprend plus depuis longtemps, tout comme l'absence de visiteurs. Ma sœur aînée, en devenant Colombe, a perdu tout son temps libre, et mon autre sœur Maggie a été sélectionnée pour garder l'autre cité des Ailés, la Cité du Vent de l'Est, jusqu'à la prochaine migration. Il était donc naturel que je rejoigne définitivement la maison des protecteurs plutôt que dormir chez une autre famille.

Dorénavant le clan ailé me considère comme responsable. J'ai atteint la fin de la formation des Protecteurs et je dois en être digne... Si personne ne vocalise la pression sur mes épaules, je la sens. Qu'est-ce que la troisième fille Fordame accomplira ? Hé bien, j'en ai fichtrement aucune idée.

Ma sculpture enfin en poche, je me rends à la Place du Faucon. L'effervescence autour de la cérémonie de la Révélation n'est toujours pas retombée. Les marchands continuent de crier leurs tarifs tandis que les commentaires vis-à-vis du Fils de l'Aube fusent. « Hésitant » « Etrange » « Divin » « Pourquoi un masque ? » Je les entends sans réagir et m'applique à protéger les rues jusqu'au coucher du soleil. Comme je l'ai appris, je régule le flux des promeneurs et nourris les oiseaux messagers qui gravitent au-dessus de la place.

Entre Aube et Crépuscule [En Cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant