[Alya] La Veillée

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Les lueurs du centre-ville brillent à travers la fenêtre de la résidence des protecteurs. Des étales ont été montées à toute vitesse dans les avenues principales et les airs transportent des odeurs alléchantes. Tous préparent la Veillée. La musique gronde jusque dans le sol et les voix, plus festives, entonnent le refrain de l'Ode à l'Aube. Les chants louent « la générosité et la grandeur » de l'Entité quand enfin, je regroupe mes dernières affaires pour le Grand Départ. Ça me fait bizarre. Les veilles d'expédition en Entre-Terre, je n'étais jamais seule pour ranger mon sac.

Un roucoulement rompt l'atmosphère chaleureuse. Vuela se pose au rebord de la fenêtre. Un mot est attaché à sa patte. Je lui caresse la tête et décroche la missive.

« L'Élu vous attend dans sa suite. »

Qu'est-ce qu'il me veut, encore ? Je boucle hâtivement la sangle du sac et quitte la résidence des protecteurs.

Une poignée de minutes plus tard, je me présente à l'entrée principale du temple. Cette fois, je suis attendue. Mes maesters me saluent, les paumes levées vers le ciel nocturne et s'écartent de l'entrée. Œil d'Aigle comme Kordepier sont tendus. Une main cornée se pose sur mon épaule.

« Fais attention, Fordame. Nous comptons sur toi. »

Derrière sa barbe épaisse, Kordepier m'adresse un sourire crispé qui trahit son inquiétude. Le voir aussi mal à l'aise me rappelle ma place : je suis la remplaçante, et mon échec sera celui de tout un peuple.

« Je ferai de mon mieux. »

Œil d'Aigle et Kordepier s'écartent de l'entrée pour me dégager le chemin quand je sens un objet être glissé dans ma poche. Une pierre à aiguiser. Je croise l'unique prunelle noire d'Œil d'Aigle, habituellement stoïque. Ses lèvres s'entrouvrent à peine mais je perçois un murmure.

« Écoute. Anticipe et analyse. »

J'acquiesce. À sa façon, ce borgne trop clairvoyant m'encourage, et cette pensée me remplit d'espoir.

Le parcours jusqu'à la suite de l'Élu est rapide, et je m'aperçois qu'il a été logé à l'opposé des quartiers de la Colombe, dans le couloir de lavande. Ainsi, si le temple est attaqué, les personnes d'intérêt seront rapidement évacuées. Entre l'escorte de l'Aubéin et les protecteurs assignés à la Colombe et au Conseil, ils ne craignent rien jusqu'au Grand Départ.

Un courant d'air me rafraîchit la nuque. En entrant dans la suite en forme de losange de l'Élu, je découvre le Fils de l'Aube qui patiente près d'une fenêtre grande ouverte. Il a troqué sa toge sombre contre une robe aussi blanche que celle de la Colombe. Dès que je franchis le palier, une étrange lourdeur m'envahit.

« Le crépuscule est tombé et la Mémoire n'a donné aucune nouvelle. On a échoué. »

J'en oublie de le saluer. Je reste figée sur place, le souffle court.

« Peut-être qu'elle est à la Veillée et qu'elle nous attend. »

Il secoue mollement la tête et se dirige vers la sortie sans attendre ma réaction.

« La Mémoire tient parole, non ? Nous n'avons aucun morceau d'amulette. Alors profitez de votre dernière soirée avant le départ pour les Reptiles. »

Un deuxième vent de déception me saisit. Je croyais que nous avions abandonné le tutoiement après l'épreuve, mais ce changement n'est rien en comparaison à la voix glaciale qu'il utilise.

« Ça... ne vous fait rien de plus ? On a échoué. »

Il fait volteface dans ma direction. La terreur qu'il tente de masquer explose dans ses prunelles. L'Histoire me hante. Les Vingt Ans de Soif, l'Abysse de Cent Ans... Era tout entier pourrait périr si les Entités sont insatisfaites.

Entre Aube et Crépuscule [En Cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant