Les ombres du port

Chapitre 1

Marine Lemoine se tenait devant le grand immeuble haussmannien, les yeux fixés sur la plaque en cuivre qui annonçait fièrement "Cabinet d'Avocats Durand & Associés." La rue était calme en ce début de matinée, à peine troublée par le passage des premiers passants et le bruit des cafés qui s’éveillaient doucement. Elle inspira profondément et poussa la porte vitrée. Un parfum de vieux bois et de cuir l'accueillit, accompagné par un silence solennel.

Elle n'avait jamais mis les pieds ici auparavant, mais elle connaissait bien le nom d'Armand Durand. Avocat de renom, il avait défendu des figures politiques, des chefs d’entreprise, et même quelques personnalités du show-business. Son décès, la semaine passée, avait surpris tout le monde. Un infarctus foudroyant, disaient les journaux. Un homme respecté, voire craint, qui emportait ses secrets dans la tombe.

Marine traversa le hall en marbre, puis s’arrêta devant une secrétaire aux cheveux grisonnants qui tapotait doucement sur un clavier.

— Bonjour, je suis Marine Lemoine, journaliste. J'ai rendez-vous avec Maître Delcourt pour une interview sur Armand Durand, dit-elle avec un sourire aimable.

La secrétaire leva les yeux et lui fit signe d'attendre. Après un bref coup de fil, elle l'invita à patienter dans le salon, un espace élégant aux murs couverts de livres anciens. Marine observa la pièce, notant la somptuosité du décor, mais quelque chose dans l’atmosphère la rendait mal à l'aise. Peut-être était-ce l'idée de fouler le sol d’un lieu si chargé de mystères et de décisions qui avaient changé des vies.

Quelques minutes plus tard, Maître Delcourt, un homme grand et mince d’une cinquantaine d’années, fit son entrée. Il avait l’air pressé, comme si la journée avait déjà commencé depuis longtemps pour lui.

— Mademoiselle Lemoine, veuillez m'excuser pour l'attente. Armand était un homme important pour moi, et il y a beaucoup à régler après sa disparition.

— Je comprends tout à fait, répondit-elle en hochant la tête. Je vous remercie de me recevoir malgré tout.

Delcourt lui fit signe de le suivre jusqu'au bureau de Durand. La porte massive s'ouvrit sur une vaste pièce baignée par la lumière du matin, où chaque meuble semblait avoir été choisi pour refléter l’aura du défunt. Les étagères étaient remplies de dossiers bien rangés, comme autant de témoins muets des affaires qu’il avait traitées.

— Je ne pourrai malheureusement pas vous accorder beaucoup de temps, prévint Delcourt en s’asseyant derrière le grand bureau en acajou. Que voulez-vous savoir au juste ?

Marine sortit son carnet et son enregistreur. Elle commença par des questions classiques, sur la carrière de Durand, sur les affaires marquantes qu’il avait plaidées. Delcourt répondit avec des phrases bien calibrées, ne dévoilant rien de plus que ce que la biographie officielle d’Armand Durand aurait pu révéler.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à conclure, son regard fut attiré par un détail étrange. Derrière le bureau, un dossier épais, mal rangé, tranchait avec l’ordre impeccable des lieux. Il était là, posé de travers, presque caché sous un autre, mais suffisamment visible pour éveiller sa curiosité.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-elle innocemment en pointant le dossier du doigt.

Delcourt se tourna brusquement, une ombre passant sur son visage. Il se leva pour saisir le dossier, mais Marine fut plus rapide. Elle l’attrapa et l’ouvrit en un instant, découvrant à l’intérieur une série de documents aux en-têtes officiels, accompagnés de photos et de notes griffonnées à la hâte.

— Mademoiselle Lemoine, ce dossier ne vous concerne pas, lâcha Delcourt en tentant de lui arracher des mains.

Mais il était trop tard. En quelques secondes, elle avait capté suffisamment d’informations pour comprendre qu’elle avait mis la main sur quelque chose de beaucoup plus grand que l’héritage d’un avocat célèbre.

— Je crois que notre entretien est terminé, déclara-t-elle en refermant le dossier, le cœur battant la chamade.

Elle savait qu’elle venait de déclencher quelque chose. Peut-être une enquête qui allait la mener bien au-delà des limites de la légalité. Peut-être même une chasse à l’homme. Mais une chose était sûre : ce dossier contenait des secrets que certains étaient prêts à tout pour protéger.

Marine sortit précipitamment du bureau, sous le regard lourd de Delcourt, et se dirigea vers la rue. À l'extérieur, l'air frais de Marseille lui sembla soudain plus oppressant. Tandis qu’elle avançait, le dossier serré contre elle, un frisson glacé remonta le long de sa colonne vertébrale. Elle se retourna instinctivement, comme si elle sentait déjà l’ombre d’un danger imminent. Mais la rue était déserte, pour l'instant.

Les Ombres du Port venaient de croiser son chemin, et elle ignorait encore jusqu'où cela la mènerait.