Chapitre 4

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Marine passa la journée suivante dans un état de nervosité contenue. Chaque minute qui s'écoulait la rapprochait du rendez-vous avec le "Spectre", et chaque seconde semblait s'étirer à l'infini. Elle s'était préparée au mieux, vérifiant son équipement, chargeant son téléphone, et s'assurant d'avoir sur elle de quoi noter et enregistrer. Mais rien de tout cela ne calmait l’angoisse qui lui rongeait l’estomac.

À la nuit tombée, elle se rendit au lieu indiqué par le "Spectre" : une vieille usine désaffectée à l’extérieur de la ville, un de ces endroits où les murs décrépits racontaient des histoires de prospérité passée et de déchéance présente. L’usine se dressait, massive et sinistre, sous un ciel noir, ponctué par la lumière froide d'une lune presque pleine.

Elle entra par une ouverture béante dans la clôture rouillée, ses pas résonnant sur le gravier. L'endroit était désert, une véritable coquille vide où le temps semblait s'être arrêté. Marine avança prudemment à travers les ombres, chaque bruit amplifié par l’écho des vastes espaces vides.

Le "Spectre" l’attendait au cœur de l’usine, dans ce qui avait autrefois été un atelier. Les murs étaient couverts de graffitis, et un vieil équipement mécanique reposait, rouillé et inerte, comme un géant endormi. Il se tenait là, immobile, la figure toujours à moitié masquée par l’ombre.

— Tu es venue, dit-il, sans surprise dans la voix.

— Comme promis, répondit Marine, essayant de dissimuler sa nervosité.

Le "Spectre" fit un signe de tête en direction d'une vieille table métallique sur laquelle était posé un dossier épais. Elle s’approcha et le feuilleta rapidement, découvrant des informations détaillées sur les activités des "Ombres du Port". Mais ce qui la frappa le plus, c’était une série de photos, des visages reconnaissables : des hommes politiques, des chefs d’entreprise, des figures publiques respectées. Tous semblaient être étroitement liés à l’organisation.

— Ce dossier, commença Marine, la gorge serrée. C'est tout ce que vous avez ?

Le "Spectre" s’approcha doucement, son regard perçant scrutant ses réactions.

— Ce que tu tiens là n'est qu'une petite partie de ce que les "Ombres" ont mis en place. Ce réseau est vieux de plusieurs décennies. Il s'est construit sur la corruption, les pots-de-vin, le chantage. Et chaque personne que tu vois là est impliquée jusqu'au cou.

Marine tourna la page, découvrant des détails sur des transactions financières obscures, des accords secrets, des noms de sociétés-écrans. Chaque ligne qu'elle lisait l'éloignait un peu plus de la surface pour la plonger dans les profondeurs d'une conspiration tentaculaire. Elle comprenait maintenant pourquoi si peu de gens osaient affronter les "Ombres" : elles étaient partout, infiltrées dans tous les secteurs de la société.

— Comment les avez-vous obtenus ? demanda-t-elle, impressionnée mais aussi méfiante.

Le "Spectre" esquissa un sourire énigmatique.

— J'ai mes méthodes, dit-il simplement. Mais disons que j’ai passé ma vie à collecter ces informations, morceau par morceau. C'est mon assurance-vie. Et maintenant, c’est aussi la tienne.

Il se tut un instant, laissant ses mots faire leur chemin. Marine comprit alors que cet homme, malgré sa réputation, avait peut-être commencé comme elle : un idéaliste, un homme qui voulait changer les choses, avant d’être englouti par les ténèbres qu’il combattait.

— Que voulez-vous de moi ? demanda-t-elle finalement, sa voix plus ferme qu’elle ne l’aurait cru.

— Ce que je veux ? Que la vérité éclate. Mais je ne peux pas le faire seul. J’ai besoin de quelqu’un qui puisse sortir cette histoire dans la lumière, sans se faire dévorer avant. Toi, tu es journaliste, tu as accès à des canaux que je ne peux pas atteindre.

Marine hocha la tête. Cela semblait logique, mais une part d'elle-même restait méfiante. Cet homme avait survécu aussi longtemps en restant dans l'ombre, en manipulant les autres. Pourquoi la choisirait-il, elle, maintenant ?

— Je vais t’aider à faire tomber ce réseau, mais il y a une condition, ajouta le "Spectre". Tu dois faire vite, avant que quelqu’un d’autre ne s'en aperçoive. Plus tu tarderas, plus les chances qu’ils te trouvent avant que tu n’aies pu tout révéler augmentent.

— Et si je refuse ? demanda Marine, le défiant du regard.

Le "Spectre" la fixa intensément avant de répondre, sa voix se faisant plus grave.

— Si tu refuses, ils te retrouveront. Et cette fois, ce sera sans moi pour t'avertir. Ils n'ont aucune pitié pour ceux qui s'approchent trop près de la vérité.

Le silence retomba sur eux, pesant. Marine savait que c’était un ultimatum, que cet homme était peut-être sa seule chance de dévoiler ce complot sans y laisser la vie. Mais elle savait aussi que s’allier au "Spectre" signifiait entrer dans un jeu dangereux où les règles changeaient à chaque instant.

Finalement, elle tendit la main vers lui.

— D’accord, je suis avec vous. Mais à une condition : je mène l’enquête à ma manière. Et je garde le contrôle de ce qui sera révélé au public.

Le "Spectre" observa sa main tendue, hésita un instant, puis la serra fermement.

— Marché conclu, dit-il en relâchant sa poigne. Mais souviens-toi, Marine : dans ce jeu, la vérité a un prix. Et parfois, il est bien plus élevé que ce qu’on imagine.

Il se retourna alors, disparaissant dans l’ombre de l’usine avant que Marine ne puisse dire quoi que ce soit d’autre. Elle resta un moment figée, le dossier toujours dans la main, sentant le poids de ce qui venait de se passer.

Elle savait que sa vie venait de basculer définitivement dans un monde où le danger était omniprésent, mais elle savait aussi qu’il n’y avait plus de retour en arrière. La partie était lancée, et désormais, chaque mouvement compterait.

Marine sortit de l’usine, serrant le dossier contre elle, et s’enfonça dans la nuit marseillaise, déterminée à percer le secret des "Ombres du Port", quelles qu’en soient les conséquences.

Les ombres du portOù les histoires vivent. Découvrez maintenant