Prologue

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— Shinha ! m'interpelle un journaliste alors que je franchis le seuil de mon agence... enfin mon ancienne agence.

Je l'ignore royalement, devinant déjà quelle question il s'apprête à me poser. Puisque c'est toujours la même depuis quelques jours.

— Shinha ! s'entête-t-il en me talonnant, suivi de près par ses collègues. Shinha, avez-vous un mot à dire à vos fans ?

Je serre les mâchoires alors que je repense à ces traîtres qui ont tant de fois réclamé mon expulsion du groupe, et avec une telle véhémence par moment, que mon manager et la direction n'ont eu d'autres choix que de céder. Tout ça à cause d'une fichue rumeur, d'hypothèses basées seulement sur des extraits de vidéos sorties de leur contexte et analysées jusqu'à en tirer des conclusions foireuses. Et qui, évidemment, sont à mon désavantage puisque je harcèlerais la chanteuse principale et visuelle de notre groupe, Yoon, Ji-yoon de son vrai nom.

C'est n'importe quoi !

— Shinha, reprend-il alors que mon garde du corps m'ouvre la portière, quelle est la raison de ce silence ?

Tu le sais pertinemment et tu oses me poser la question. Les paroles de mon ex-manager tournent dans ma tête alors qu'il m'ordonne de ne pas en parler avant l'annonce officielle, mais merde. Ils n'ont plus d'emprise sur moi depuis le moment où ils m'ont forcé à apposer ma signature au bas de ce chiffon qui marque la fin de mon contrat.

— La musique, c'est fini pour moi.

Ma voix claque par-dessus les déclencheurs de leurs appareils photo et de leurs flashs. Des cris horrifiés échappent aux journalistes les plus proches et la rumeur se répand aux rangs suivants, puis aux derniers. La foule est en délire, les questions fusent et ils immortalisent mon départ alors que je grimpe dans la voiture qui doit me mener à mon appartement de service.

Une fois la porte refermée, le calme m'assourdit et je pousse un soupir à fendre l'âme. Je clos les paupières et des larmes me brûlent les yeux. Comment ai-je pu en arriver là ? Je suis... Non. J'étais le rappeur principal de notre groupe, les Rythm Guys, et j'étais super populaire pour mes textes, ma diction et mon physique. Mes aînés me respectaient et mes cadets m'idolâtraient. Et, du jour au lendemain, je suis devenu le vilain petit canard, la brebis galeuse dont il faut se débarrasser à tout prix.

Juste parce que nos fans me reprochent d'être trop familier avec une collègue, une amie. Une femme que je considère comme ma sœur, car nous avons grandi ensemble.

— Tu n'aurais pas dû dire ça, Ha-joon...

Je rouvre les yeux, surpris d'entendre cette voix que je reconnaîtrais entre mille, et fixe Ji-ho, Jiho de son nom de scène, le second rappeur du groupe et celui qui va désormais occuper ma place. Et aussi celui qui fait battre mon cœur.

— Je sais, marmonné-je, mais je n'en ai plus rien à foutre. Tout le monde est au courant que ma carrière est finie. Ce n'est pas une révélation.

Son visage se ferme. Il sait que j'ai raison. Il était avec moi lorsque j'ai découvert le camion envoyé par les haters avec une grande banderole où était noté « Non au harcèlement de Yoon ! Virez Shinha ! ». Nous avons été les premiers à le voir et, avant que notre agence n'ait le temps de faire quoi que ce soit, c'était déjà trop tard. Des photos circulaient sur le net et les vidéos de moi, très tactile avec Ji-yoon, ont commencé à pleuvoir.

— Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?

— Rentrer au bercail, chez mes parents, et trouver un autre travail. Peut-être que personne ne me reconnaîtra là-bas tellement c'est paumé.

— Hum...

Son expression me partage son scepticisme. Notre groupe a fait ses débuts il y a moins d'un an et est déjà en vogue, notamment parmi les jeunes. C'est grâce à notre titre phare, où Ji-yoon et moi formons un duo en symbiose, arrivé dans le top 3 des nouveautés avant de se classer dans celui des tendances pendant plus de six mois.

— Je dois récupérer mes affaires à l'appartement avant de partir.

— Je sais...

Je secoue la tête, amusé de sa capacité à toujours être au courant de tout. Il me décoche un sourire en coin, mais ses yeux brillent de chagrin.

— C'est quoi cet air tout tristounet ? le taquiné-je en lui envoyant un coup sur l'épaule. Ce n'est pas toi qui es viré du groupe...

— Ce ne sera plus pareil sans toi...

Non, c'est clair. Tout comme ça n'aurait plus été la même chose si un autre avait dû partir. Je baisse les yeux sur mes doigts entrelacés sans prononcer un mot de plus. Il reste lui aussi muet tout le long du trajet. Seule la musique que le chauffeur a mise suite à notre échange retentit dans l'habitacle.

— Bon, murmuré-je alors que la voiture s'arrête devant mon bientôt ancien logement. Merci pour tout. Ça a été un réel plaisir de bosser à tes côtés.

— Tu parles comme si nous n'allions plus jamais nous revoir.

Parce que c'est le cas, Ji-ho... Tu es destiné à briller de mille feux sur la scène coréenne – voire internationale, je l'espère – avec les autres. Tandis que ma vie se terminera dans l'anonymat et le souvenir d'un mec qui a harcelé sa collègue, car trop imbu de lui-même.

— Au revoir, mon ami, me contenté-je de lui répondre en quittant la sécurité de notre véhicule.

Je claque la portière dans mon dos, cours presque jusqu'à mon appartement et referme le battant. Une fois à l'intérieur, les larmes que je retenais depuis mon entretien avec la direction débordent de mes yeux et dévalent mes joues. Je plaque une main sur ma bouche pour étouffer mes sanglots et je m'effondre sur mon canapé. J'ai tout perdu.

Ma carrière.

Mes amis.

Et l'homme que j'aime.

Ji-ho ne connaît pas mes sentiments. Je n'ai pas eu le temps de me confesser, car tout est allé trop vite. Je l'aurais fait si nous avions été seuls. Après tout, il m'aurait repoussé et j'aurais pu disparaître sans regret, hormis pour l'arrêt prématuré de mon activité dans la musique. J'aurais pu passer rapidement à autre chose, me contenter de suivre les progrès de mon ancien groupe à la télévision et de me réjouir pour eux.

Mais non.

À présent, des « et si » tourbillonnent dans mon esprit au point de m'en donner le tournis. Mes incertitudes m'étouffent et je me noie dans mes larmes. Je ferme les yeux pour tenter d'endiguer la douleur qui broie mon cœur.

Et si je m'étaisdéclaré, est-ce que tout aurait été différent ?

Untitled for the momentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant