Chapitre 5.2

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Ha-joon


Mon regard balaye la  salle et j'aperçois les membres des Rythm Guys installés autour d'une  table basse en bois. Leurs têtes sont tournées dans notre direction  depuis que Ji-ho a poussé la porte coulissante en bambou et hanji. Je  suis paralysé alors qu'ils me détaillent sans vergogne. Je ne m'attarde  pas sur les émotions qui illuminent leurs yeux, car je crains d'y  découvrir de la haine et du dégoût.

—  Il n'y a aucune caméra, me dit Ji-ho en posant une main sur mon épaule,  me sortant de ma torpeur. Nous nous en sommes assurés à plusieurs  reprises.

J'acquiesce  et déglutis, intimidé face à leurs regards perçants. La porte se  referme dans mon dos, mais Ji-ho demeure à mes côtés, comme s'il  souhaitait me montrer son soutien indéfectible. Le même qu'il m'a offert  tout au long de notre parcours commun. J'inspire autant que mes poumons  compressés par mon blouson de motard me le permettent. Je déglutis et  enlève mes gants qui protègent toujours mes mains. Après un moment  pendant lequel je rassemble mon courage, j'ôte mon casque et secoue la  tête pour remettre mes cheveux en place.

— Salut, dis-je en priant pour que mon stress ne transparaisse pas sur mon visage ni dans ma voix.

Un  ange passe alors que leurs yeux glissent sur moi comme s'ils le  découvraient pour la première fois. Ji-yoon se lève après ce qui me  semble une éternité, contourne la table, chancelante, et je crains  qu'elle ne s'effondre à chaque pas supplémentaire. Je m'apprête à lui  demander si elle va bien, mais les mots n'ont pas le temps de franchir  mes lèvres que la visuelle des Rythm Guys me saute dessus. Ses bras se  referment autour de mon torse avec une force que je ne lui connaissais  pas. La respiration coupée, j'approche mes mains de ses épaules pour la  forcer à me relâcher, mais les sanglots qui secouent son corps frêle  m'en empêchent.

— Eh ben, soufflé-je en l'étreignant à mon tour et en la berçant, en voilà un gros chagrin...

Elle  renifle de manière peu élégante en réponse et me serre plus fort contre  elle. Je pose le menton sur le haut de son crâne et caresse ses longs  cheveux décolorés. Je lève les yeux vers les autres alors que des  bruissements m'interpellent et je sursaute en m'apercevant qu'ils nous  rejoignent, dans le même état que mon amie d'enfance. Leur chaleur  m'enveloppe au moment où leurs bras m'encerclent. Ji-ho et Do-yun ont  appuyé leurs têtes sur chacune de mes épaules. Quant à Min-seo et  Soo-yeong, elles se sont placées derrière Ji-yoon et leurs doigts  agrippent mes avant-bras.

— Tu nous as manqué, déclare Do-yun après un moment de silence.

— Vous aussi...

Ma  voix est enrouée des larmes que je suis parvenu à retenir. Ils se  reculent tous, sauf Ji-ho qui garde sa main autour de mes omoplates,  comme s'il craignait que je me volatilise à nouveau.

—  Notre hôte nous a préparé un repas de roi ! s'exclame Min-seo pour  cacher son émotion. Il y a normalement tout ce que tu aimes...

J'esquisse  un sourire et acquiesce, reconnaissant. Ils retournent s'installer  autour de la table. Leurs voix s'élèvent dans la pièce et je ne peux  empêcher mon cœur de battre alors que l'ambiance est bon enfant et que  les visages de mes amis rayonnent d'une joie sans borne.

—  Au fait, dit Soo-yeong comme si elle venait de se souvenir d'une  information de la plus haute importance. Merci pour les boissons d'hier.

— Elles étaient excellentes ! approuve Ji-yoon. Tu penses que ce serait possible de nous en fournir sur le plateau de tournage ?

Je pouffe, amusé par leur passion continue pour le caramel macchiato, et les rejoins une fois débarrassé de ma tenue de motard.

— Oui, bien sûr. Je suis certain que cela plaira beaucoup à mon chef.

— On pourra venir les chercher nous-même ? m'interroge Min-seo, une pointe d'amertume dans la voix.

Je fouille dans son regard, inquiet à l'idée d'y découvrir de la rancœur, mais ne trouve rien de tel. Juste du regret.

—  J'aimerais... Non, se reprend-elle alors que mon silence l'a mise mal à  l'aise. Nous aimerions beaucoup pouvoir te voir tous les jours.

— Vous allez rameuter tous les RyGies...

— Et tu n'as pas envie qu'ils t'aperçoivent en tenue de serveur ?

—  Je désire seulement vivre dans l'anonymat après les évènements d'il y a  quelques mois. Les gens n'oublient pas facilement les rumeurs.

—  Justement, me contredit-elle, ne voulant pas lâcher le morceau. S'ils  voient que nous te rendons visite et que nous avons repris contact, les  fans ne pourront que se rendre compte que tout est faux...

Je  ferme les paupières et attrape le premier plat face à moi pour lui  signifier que le sujet est clos. Elle rouvre la bouche pour plaider sa  cause, mais Do-yun la coupe :

— Tu habites dans le coin du coup ?

Je reporte mon attention sur lui et le remercie intérieurement pour ce changement de conversation.

— Oui, à une demi-heure de votre auberge. Et vous, que faites-vous ici ? C'est loin de Séoul et assez peu fréquenté...

— On est là pour tourner le clip de la chanson phare de notre dernier album, Without you. Tu l'as écouté ?

J'acquiesce en prenant une bouchée de kimchi.

— T'as aimé ?

— L'album ou la chanson en question ?

— Les deux...

Mes  amis retiennent leurs respirations. Après tout, c'était moi l'ancien  parolier du groupe. Et je me doute qu'ils connaissent mon avis sur les  textes similaires aux leurs.

—  Pas besoin de nous mentir ou de trouver une excuse, Ha-joon, intervient  Ji-yoon alors que le silence se prolonge. On sait que les chansons ne  sont pas à la hauteur des tiennes...

Je  les dévisage à tour de rôle et aperçois dans leurs regards une forme de  déception. Mais je ne parviens pas à deviner si c'est parce que je  n'aime pas leur travail ou parce qu'ils n'apprécient pas ce qu'ils font.

—  Without you est une bonne musique. Tant au niveau des paroles, des  messages transmis, du chant et du rap, que de l'instrumental.

— Tu dis ça parce que tu as vu dans les crédits que c'est nous qui l'avons écrite ? me demande Soo-yeong.

—  Non, la détrompé-je en déposant un morceau de poulet au caramel dans  son bol. Je suis sincère. C'est la seule chanson qui a trouvé grâce à  mes yeux lorsque j'ai écouté l'album. J'ai hâte de découvrir ce que va  donner le clip.

Ses joues rosissent et elle reprend son repas.

—  Puisque tu en parles, intervient Ji-ho en plaçant un bout de porc rôti  dans mon assiette, nous avons besoin d'une personne qui improvise tout  au long de la chorégraphie. On ne distingue que sa silhouette... Ça te  dirait pas que ce soit toi ?.

Untitled for the momentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant