Ha-joon
Six mois plus tard
— Encore une fois, les Rythm Guys sont au cœur d'une polémique. Cette fois-ci, c'est à cause de leur participation à l'émission « Une question, une réponse » à laquelle ils ont été invités suite à la sortie de leur nouvel album, Without you.
Je claque la langue contre mon palais à l'entente de la voix nasillarde de ce journaliste. Bien évidemment que leurs réactions de la veille ont suscité de vives rebuffades ! En même temps, comment espéraient-ils que mes anciens collègues restent de marbre pendant une interview où ils se font pratiquement insulter ?
— Doson, leur leader a eu beau tempérer ses protégés, il n'est pas parvenu à retenir Jiho de s'emporter quand la discussion a dérivé vers leur ancien membre, Shinha. Comment demeurer calme lorsque l'on parle de...
La radio se coupe alors qu'il allait me calomnier. Je relève le regard du macchiato que je m'apprêtais à préparer et le pose sur mon supérieur. Son air compatissant me donne envie de vomir et je me reconcentre sur mon travail.
— Tu ne devrais pas trop prendre à cœur tous les propos les journalistes...
Je me contente d'un hochement de tête, mâchoires serrées.
— Tu sais..., soupire Kim Dong, tout le monde ici est au courant que ces rumeurs sont fausses.
J'acquiesce à nouveau, pose le macchiato sur le comptoir et attrape un nouveau gobelet pour préparer un chocolat chaud. Comme je ne décoche pas un mot supplémentaire, il souffle et se détourne. Il retourne en caisse tandis que je me charge de concocter les boissons avant de les donner à un autre collègue qui s'occupe de finaliser la commande avec un éventuel accompagnement pour ensuite la tendre au client.
— Lee Hoji ! appelle d'ailleurs ce dernier alors qu'il s'empare du breuvage chocolaté que je viens d'achever.
Je fronce les sourcils, étonné d'entendre ce nom si familier, et lève rapidement la tête vers la salle. Mes yeux croisent ceux de mon ancien ami. Je me fige, paralysé par les possibles conséquences de ces retrouvailles, et oublie totalement l'expresso que je préparais. Du café bouillant dégouline sur mes doigts et la chaleur traverse mes gants en plastique. Je couine et le gobelet m'échappe, s'écrasant au sol.
— Et merde, sifflé-je en retirant mes protections pour passer mes mains sous l'eau.
— Ha-joon ? s'inquiète mon chef en me rejoignant. Ça va ?
— Oui, ce n'est rien. J'ai juste été distrait. Désolé, ça ne se reproduira plus...
Il attrape mon épaule et la serre en signe de soutien.
— Tu peux aller dans l'arrière-boutique te reposer un peu si tu veux.
— Non, le coupé-je une fois que l'élancement a cessé. Hyun-ah n'est pas encore arrivée et il y a trop de monde pour qu'Eun-woo gère les deux postes seuls.
Sur ces mots, je nettoie vite le sol, retourne derrière mes machines et recommence l'expresso. J'enchaîne les boissons pour rattraper mon retard et ne peux m'empêcher d'observer les clients assis en salle. Mon regard est tout de suite attiré sur l'homme qui s'est installé dans le coin le plus isolé du café. Il est près de la fenêtre, un masque chirurgical noir baissé sur son menton et une casquette de la même couleur enfoncée sur son crâne. Ses iris bleus sont rivés sur son verre de chocolat autour duquel ses doigts de pianistes s'enroulent, comme s'il cherchait à les réchauffer. Sa veste en cuir est toujours sur ses larges épaules et un foulard aux couleurs de Louis Vuitton habille son cou. Il porte un jean blanc déchiré aux genoux et d'amples baskets montantes. Je déglutis alors que mes yeux reviennent vers son profil marqué par un nez aquilin, une bouche fine rehaussée d'une couche de gloss et de longs cils qui lui donnent un regard de biche. Mon cœur effectue une embardée quand je me rends compte qu'il n'a pas tenté de camoufler les taches de rousseur qui parsèment ses joues.
Lee Ji-ho, aka le rappeur et danseur principal des Rythm Guys ainsi que leur chorégraphe.
Mais que fait-il là, dans cette ville perdue en plein milieu de la campagne coréenne alors qu'il devrait être avec le groupe, à l'agence qui se trouve en plein cœur de Séoul ?
— Salut, Ha-joon ! retentit la douce voix de Cho Hyun-ah, l'étudiante en podologie qui travaille ici à temps partiel. Comment vas-tu ?
Je me détourne de mon ancien collègue pour me concentrer sur elle. Son sourire est éblouissant alors qu'elle me dévisage.
— Bien merci et toi ? Ta journée à la fac n'a pas été trop compliquée ?
Elle hausse les épaules, attrape son tablier et le noue autour de sa taille avant de me rejoindre derrière les machines.
— Comme d'habitude, marmonne-t-elle en préparant un cappuccino, mais je fais avec. Je me dis que c'est ma dernière année et ensuite je pourrai intégrer une entreprise et ne plus me coucher à pas d'heure...
Je rigole alors qu'une grimace déforme ses traits juvéniles.
— Parfois, même en entrant dans le monde du travail, on conserve des horaires impossibles.
Elle secoue la tête et son chignon de danseuse ne bouge pas d'un poil.
— Hors de question que mon avenir se déroule comme mes études ! Je veux avoir une vie de famille et profiter à fond de ce que mon quotidien pourra m'offrir une fois ma journée terminée.
Je ne peux que la comprendre. Lorsque j'étais encore dans le groupe, je ne dormais presque plus, trop obsédé à l'idée que notre succès s'achève aussi vite qu'il a commencé. Je me levais à huit heures, enregistrais nos musiques avec mes partenaires dans le studio, mangeais vers midi avant d'enchaîner avec l'apprentissage des chorégraphies jusqu'à dix-huit heures. Je ne quittais l'agence qu'à sa fermeture, vers vingt-trois heures, car je m'enfermais dans un bureau qui m'était réservé pour écrire mes textes. Et une fois à mon appartement, soit je continuais à travailler mes paroles, soit je composais les sons que j'imaginais dessus. Ce qui faisait que je n'étais pas couché avant deux ou trois heures du matin.
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Romance« Il était mon premier amour et mon corps refusait de passer à autre chose tant que je n'avais rien tenté. Parce que c'est ça un premier amour : un amour si fort qu'il en devient irrationnel, égoïste et dévorant s'il ne voit pas le jour à un moment...