Chapitre 2.1

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Ji-ho


Je l'ai enfin retrouvé. Après des mois et des mois à le chercher, je tombe sur lui alors que j'ai du temps libre entre deux sessions de tournage pour le clip de notre dernier tube, Without you. Quelles chances avais-je de le trouver par hasard dans ce trou paumé ? En même temps, ça ne devrait pas m'étonner plus que cela... Ses parents habitent dans le village voisin et il m'avait confié avant de partir qu'il souhaitait recouvrer son anonymat.

J'avais prévu de rentrer à ma chambre d'hôtel une fois ma commande récupérée, mais l'occasion est trop belle pour que je la laisse m'échapper... Je m'installe à la table la plus isolée du café et prie intérieurement qu'aucun RyGie ne me reconnaisse. Mon manager me passerait un savon mémorable. Je relève les yeux et n'arrive pas à m'empêcher d'observer Ha-joon qui est parvenu à s'adapter à sa nouvelle vie.

Lui qui était si maladroit en cuisine, danse presque derrière son bar alors qu'il prépare ses boissons. Une collègue l'a rejoint à son poste pour l'assister, car les clients affluent, et le contemple comme s'il était la huitième merveille du monde. Et je ne peux que la comprendre... Ha-joon a laissé ses cheveux pousser jusqu'à ce qu'ils lui tombent sous les épaules. Ils ont d'ailleurs retrouvé leur couleur naturelle châtain. Son visage est un peu plus rond, signe qu'il mange à nouveau comme il faut. Le soulagement m'envahit suite à ce constat. Ses yeux, aux iris si foncés qu'ils en paraissent noirs, demeurent fixés sur les machines tandis que la jeune femme, sans doute une étudiante au vu de ses traits fins, l'assaille de mots que je ne parviens pas à entendre d'ici.

Je sors mon ordinateur afin de me détourner de mon... comment le définir ? Je le considère toujours comme mon ami, mais est-ce pareil pour lui ? Malgré les nombreux messages que je lui ai envoyés, il n'a pas daigné me donner de ses nouvelles. Suit-il encore ce qui se fait dans l'industrie... ou s'en est-il totalement désintéressé ?

Les gars du groupe ont eux aussi tenté de le contacter, mais sans succès... Notre chanson Without you est d'ailleurs notre ultime espoir qu'il nous entende. Mais s'il ne veut plus rien avoir à faire avec nous, nous ne pouvons pas le forcer. Même si cela nous briserait le cœur... Après tout, c'est sur son impulsion que les Rythm Guys se sont formés. On s'est tous rencontrés sur les bancs de la primaire et nous sommes suivis au collège avant de nous inscrire ensemble à une audition. Je me souviens de ce jour comme si c'était hier... Ha-joon était arrivé en classe avec une affiche qu'il avait arrachée sur un tableau devant l'établissement. Des étoiles brillaient dans ses yeux à la simple idée de pouvoir mettre en musique ses textes puisqu'il écrivait déjà à l'époque. Plus des poèmes que des chansons, mais avec le temps, il était parvenu à les arranger pour les inclure dans notre programme musical. Il avait même composé pour notre audition et avait fait en sorte que chacune de nos parties corresponde à notre caractère et nos capacités vocales. Nous avions donc vécu notre chanson le jour J et, évidemment, les jurys avaient adoré.

Une lettre était arrivée le lendemain chez Ha-joon et la semaine suivante nous avions intégré l'école de trainees de notre agence actuelle. Nous avions eu besoin de quelques années pour être formés à tous les aspects du métier d'idole : danse, chant, rap, théâtre pour maîtriser notre voix et nos expressions faciales, mais aussi pour savoir parler en public, apprentissage linguistique, comment se tenir devant une caméra et poser sur les photos ainsi que le maquillage. C'était dur à cause des efforts à fournir pour être toujours au top lors des évaluations mensuelles et de la pression rien qu'à la pensée que nous risquions d'être éliminés avant d'avoir débuté si nous n'étions pas au niveau. Surtout du côté des filles. Nous ne nous voyions que très peu à l'époque puisque nous étions répartis en deux collectifs en fonction de notre genre. Et si de notre côté l'ambiance était à la camaraderie, chez elles, c'était plutôt la compétition qui primait. Ce qui amenait parfois certaines de leurs concurrentes à mettre des bâtons aux meilleures qu'elles...

Je soupire lourdement en me remémorant leurs récits après l'officialisation de notre groupe. Elles avaient interdiction d'en parler quand elles étaient trainees et leur histoire nous avait horrifiés... La seule chose qui leur a permis de tenir, c'était les messages que nous nous envoyions en cachette le soir, après les entraînements, et la pensée que tout s'arrêterait une fois qu'elles seraient idoles. J'attrape mon gobelet et peste en m'apercevant qu'il est déjà vide. Je remonte mon masque chirurgical sur le bas de mon visage et me concentre sur mon écran. Mon manager m'a confié la tâche de finaliser la chorégraphie de la dernière chanson de notre disque, histoire que nous ayons le temps de l'apprendre avant le tournage du clip vidéo. Nous n'avons pour l'instant fait que les séances photo et le repérage des lieux. Notre équipe se charge en ce moment d'installer les différents décors, car Soo-yeong s'est occupée de les dessiner à l'avance pour qu'ils soient construits en même temps que nos costumes. Without you est un projet qui nous tient vraiment à cœur et, contrairement à toutes les chansons de notre nouvel album, nous souhaitons suivre sa création de son écriture à sa phase finale.

Quand je relève le nez de mon travail, le soleil est déjà couché. Je jette un coup d'œil à l'horloge murale en face de moi et bondis sur ma chaise. 22 h. Mais comment j'ai pu passer autant de temps face à mon écran sans m'apercevoir des heures qui s'écoulaient ? Et surtout... pourquoi personne n'est venu me mettre dehors alors qu'il est si tard ! Je m'empresse de vérifier les horaires du café et me rends compte qu'ils ferment dans quinze minutes. Un vent de panique affole mon cœur. Je balaye la pièce du regard, à la recherche d'Ha-joon et le trouve derrière le plan de travail, à préparer plusieurs commandes. Je fronce les sourcils, intrigué par l'absence de ses collaborateurs. Je rassemble mes affaires, prêt à aller aux nouvelles, mais il n'est bientôt plus seul et je bifurque pour me réfugier aux toilettes.

Heureusement, ce n'est pas très loin et, cette fois, je peux entendre leur conversation. Je me fige face à la proximité entre Ha-joon et sa collègue. Ce n'est pas dans ses habitudes d'être aussi proche de la gent féminine... Hormis les filles du groupe. Peut-être que c'est sa copine ? Après tout, il n'est plus sous contrat, et donc la règle qui lui interdit toute relation amoureuse n'est plus d'actualité. Mon cœur se serre à cette idée et je pose ma tête contre le mur dans mon dos. Le principal, c'est qu'il se soit remis de la polémique qui l'a forcé à partir et qu'il s'épanouisse.

— Bien sûr, retentit sa voix grave, me sortant de mes pensées. Je suis ton homme !

Je fronce les sourcils, décontenancé face au changement de ton qu'il a adopté, et me penche pour observer les alentours. Ses deux collègues ont disparu et un homme aux cheveux grisonnants, son chef sûrement, quitte la salle, un long ticket de caisse en main. Ha-joon balaye le café du regard et je jurerai qu'il s'attarde un peu sur la table où je me trouvais un instant plus tôt. Un soupir franchit la barrière de ses lèvres avant qu'il ne s'occupe de rassembler les invendus sur un plateau pour le mettre dans un rack.

Je ne parviens pas à interpréter sa réaction. Est-il soulagé de ne plus me voir installé dans ce café... ou triste parce que nous n'avons pas eu l'occasion d'échanger ? Il n'y a qu'un moyen de le savoir. Je sors de ma cachette alors qu'il me tourne le dos et m'approche du comptoir d'un pas que j'espère nonchalant.

— Hé bah dis donc ! Je ne pensais pas devoir attendre autant pour pouvoir te parler, Ha-joon.


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