Chapitre 8.1

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Ji-ho

— Ji-ho !!

Je sursaute alors que la voix de Si-won m'arrache à mes pensées toutes tournées vers Ha-joon que j'ai trouvé ce matin derrière son bar avec de lourds cernes. Ils creusaient le dessous de ses yeux tandis qu'il me décochait son plus beau sourire. Malgré mes innombrables questions quant à son état de fatigue avancée, notamment si c'était à cause de notre soirée, il a refusé de m'apporter une quelconque réponse. Ou du moins, la seule qu'il a daigné m'offrir était que, étant donné qu'il ne lui restait plus que trois heures de sommeil, il avait préféré veiller pour ne pas se lever plus épuisé qu'il ne l'était actuellement.

— Concentre-toi, m'ordonne mon manager. Ça fait déjà quatre fois que Weon t'appelle pour que tu changes de pose.

Je me tourne vers le photographe et m'excuse en m'inclinant. Il me fait signe que ce n'est rien et nous reprenons notre séance. Chaque cliché sera utilisé dans la campagne de promotion de notre album et certains, les plus réussis, permettront de créer des cartes distribuées uniquement lors d'évènements comme les rencontres avec les fans que ce soit après les concerts ou même dans des magasins éphémères des villes les plus importantes de la Corée.

— C'est tout bon, déclare alors Weon après ce qui me semble une éternité. Merci beaucoup pour votre travail. Si-won, je vous enverrai les photos en fin de journée.

Sur ces mots, il range son appareil avec la plus grande attention et tourne les talons pour disparaître dans son van. Je soupire, le corps douloureux à force de l'obliger à rester longtemps dans la même posture. Je m'étire et une membre du staff me rejoint, mon gobelet de café glacé servi tout à l'heure par Ha-joon dans une main et une ombrelle dans l'autre. Je la remercie et me dirige vers Si-won qui me fait signe.

— J'ai regardé les modifications apportées à la chorégraphie pour Without you, dit-il une fois que je suis face à lui. Vous pouvez commencer à bosser dessus cet après-midi. L'idéal serait de connaître au moins la moitié par cœur pour demain, histoire que nous débutions les enregistrements au plus vite et que nos techniciens s'occupent du montage dans la foulée.

J'acquiesce en savourant ma boisson. Je retiens un gémissement de plaisir alors qu'un arôme de vanille titille mes papilles. Il faudra que je pense à remercier Ha-joon pour ce petit ajout pas du tout prévu, mais plus qu'agréable au vu de ma passion pour cette épice sucrée.

— As-tu besoin que j'appelle le coach ?

Je fronce les sourcils face à cette question incongrue. Cela fait bien longtemps que nous pouvons nous passer de notre entraîneur pour mettre en place nos chorégraphies... Il nous a juste aidés pour la toute première, nous guidant au mieux et nous expliquant tout ce à quoi nous devions prêter attention, puis, une fois certain que nous étions autonomes, il n'était plus revenu.

— Pour quoi faire ?

— Tu es dans la lune depuis ce matin, Ji-ho. Et cela m'inquiète, car tu es le plus terre à terre du groupe. Après Do-yun, évidemment.

— Ce n'est rien, me justifié-je, peu désireux que Si-won nous enlève une autre part de liberté que nous avons dans notre processus créatif. J'espérais juste que les modifications de la chorégraphie te plaisent... J'ai eu peur que ce ne soit pas le cas et que cela nous retarde dans le programme prévu.

Bien sûr, c'est un mensonge, mais il est hors de question que je lui avoue que toutes mes pensées sont dirigées vers mon ami qui a passé une nuit blanche alors qu'il aurait dû dormir au moins pendant les trois heures qu'il avait avant que son réveil sonne. Non seulement parce que ma vie personnelle ne le concerne pas le moins du monde, mais aussi parce que lui apprendre que j'ai retrouvé Ha-joon, certes par un concours de coïncidences, serait la pire erreur que je puisse faire. Si-won me scrute tandis que je soutiens son regard sans un mot de plus, cherchant sur les traits et aspérités de mon visage le moindre signe que je lui dissimule la vérité. Après ce qui me semble être des heures, mais qui n'ont dû être que d'interminables secondes, il me sourit de toutes ses dents, me tape sur l'épaule et reprend :

— Tu aurais dû m'en parler avant le début de la séance photo, Ji-ho ! Tu aurais été plus serein ainsi.

— Ah, ah, c'est vrai, ris-je faussement en me grattant la nuque. Pourquoi je n'y ai pas pensé ?

— Tu le sauras pour la prochaine fois. Aller ! Il est temps pour toi et les autres de retourner au Domaine des Hortensias pour vous entraîner. Vous avez toute la journée pour cela. On se retrouve demain matin devant le hanok à dix heures.

Sans attendre de réponse de ma part, il tourne les talons, salue le reste de l'équipe et quitte le lieu de production dans sa voiture. Je rejoins mes amis et nous montons dans le van que Dae-ho a préparé à notre intention. La porte n'a même pas le temps de se refermer, et moi de m'installer, qu'ils me tombent dessus.

— Eh ben ? s'étonne Soo-yeong, l'air taquin. C'était quoi cet air perdu que tu t'es trimballé toute la matinée ?

— Tu pensais à quoi ? me demande Ji-yoon.

— Ou plutôt... à qui ? glousse Min-seo, une main devant sa bouche.

— Voyons les filles, les sermonne Do-yun en se vautrant sur le siège à côté du mien, laissez-le respirer et... répondre à chacune de vos questions. Surtout que nous savons tous pertinemment ce qu'il va nous dire...

Je grogne, mécontent que le leader de notre groupe les encourage sur leur lancée, et me détourne vers la fenêtre. Mais cela ne les démotive pas. Au contraire, Min-seo s'assoit à la place qui me sépare de la portière.

— Alors, mon petit Ji-ho, reprend-elle une fois certaine que toute l'attention, surtout la mienne, est portée sur elle. Qui est donc cette personne extrêmement chanceuse qui a occupé chacune de tes pensées depuis ton arrivée sur le site de tournage ?

Je soupire, las, et lui jette mon regard le plus noir. Cela a pour seul effet de la faire glousser et de relancer la conversation.

— Tu étais plutôt heureux ce matin, et même hier soir après avoir raccompagné notre ami chez lui. Est-ce qu'il se serait passé quelque chose au café ?

— Comme par exemple que tu ne l'as pas vu ? insiste Soo-yeong face à mon mutisme.

Je clos les paupières et les questions continuent d'affluer. J'ai beau tenter de faire la sourde oreille, mettre mes écouteurs ou mon casque antibruit, rien à faire. Ils me bombardent de paroles que je ne peux m'empêcher de lire sur leurs lèvres et se collent à moi pour attirer mon attention dès que je ferme les yeux.

— Il était là, craqué-je à la moitié du chemin. Mais il n'avait pas dormi. Son visage était creusé par la fatigue.

Mes amis se taisent, conscients que notre soirée n'a que trop duré la veille et que, contrairement à eux, Ha-joon avait de la route pour rentrer chez lui.

— Pourquoi avoir fait nuit blanche alors qu'il se levait tôt le lendemain ? m'interroge Do-yun, sourcils froncés et toute trace d'amusement envolée.

— Eh bien justement : il a préféré ne pas se coucher pour trois heures plutôt que de se réveiller avec la tête dans le cul.

— Ça me rappelle toutes ces nuits que vous passiez ensemble à son appartement, toi à créer nos chorégraphies et lui à écrire et composer...

— Sauf qu'il ne fait plus tout ça..., souffle Min-seo d'un air triste.

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