Ha-joon
J'ai à peine fermé la porte de mon appartement que je me précipite vers mon lit. Je m'y laisse tomber comme une masse et expire un grand coup, épuisé de ma journée. Des petits pas discrets brisent le silence et m'arrachent un sourire. Un miaulement étouffé retentit près de mon oreille alors que Sunlight bondit à mes côtés et frotte sa tête contre ma joue.
— Mon loulou, soupiré-je de joie en l'attrapant dans mes bras pour le serrer contre mon cœur.
Il s'installe contre moi, ferme les yeux et ronronne aussi fort qu'une moissonneuse-batteuse alors que je gratouille son échine. Je rouvre les paupières quand mon deuxième chat, Moonlight, nous rejoint et se plaque contre mon dos. Mes lèvres s'étirent jusqu'à mes oreilles tandis que leurs ronronnements et leur chaleur corporelle me bercent et m'apaisent.
— Alors mes p'tits pères, comment s'est passée votre journée ? finis-je par reprendre au moment où la lumière décroit dans mon appartement. La mienne a été pour le moins étrange...
Moonlight m'escalade pour rejoindre son frère et entrer dans notre étreinte. Ils ont braqué leurs yeux verts sur moi dès que j'ai parlé et ne détournent plus leur attention, comme s'ils attendaient que je continue mon récit.
— Je ne sais pas si vous vous en souvenez, car vous aviez à peine un an quand c'est arrivé, mais avec des amis on a formé un groupe de musique. Voilà pourquoi vous êtes restés pendant plusieurs années chez papa et maman...
Sunlight baille à s'en décrocher la mâchoire et Moonlight le fusille du regard. Je pouffe et leur caresse le sommet du crâne.
— Si on a pu habiter tous les quatre avec Starlight, c'est parce que j'ai été viré à cause de rumeurs infondées.
La mention du nom de mon troisième chat suffit à le faire venir d'un pas trottinant avant de se loger entre ses deux grands frères. Je ricane face à leur air ennuyé et les embrasse à tour de rôle.
— Il se trouve qu'aujourd'hui, j'ai revu l'une des personnes avec lesquelles j'étais le plus proche à l'époque... Et qu'après une discussion un peu houleuse, il m'a proposé que l'on dîne ensemble, avec les autres membres du groupe.
Starlight s'étire et pose sa patte sur ma bouche. J'étouffe un ricanement face à son pressentiment qui s'avère plus que juste.
— Et oui, ma poupette, enchaîné-je après lui avoir embrassé les coussinets. J'ai accepté sa requête.
Elle ferme les yeux, l'air las, se relève et nous quitte. Sunlight la suit du regard tandis que Moonlight la talonne. J'attrape mon grand et me redresse en position assise.
— Hé ! crié-je à l'attention de mes chats. Je lui ai demandé de ne pas dire aux autres où je travaille. Je ne suis pas fou au point de mettre en péril mon anonymat et de me retrouver à nouveau sous les flashs des paparazzis.
Mes petits s'asseyent dans la cuisine et me dévisagent. Sunlight se débat dans mes bras et les rejoint avec un miaulement qui ne laisse la place à aucun doute.
— Ah là, là ! me lamenté-je en me relevant. Je vous parle de mes problèmes et tout ce que vous trouvez à me dire, c'est que vous souhaitez manger.
À la simple mention de ce mot, mes chats miaulent tous plus fort les uns que les autres. Je pouffe alors que Starlight tourne sur elle-même et se dresse sur ses postérieurs. Sa longue fourrure écaille de tortue valse au rythme de ses mouvements et ses yeux mordorés ne me lâchent pas d'un pouce. Sunlight bondit agilement sur mon dos dans un éclair roux et je me félicite d'avoir gardé ma routine sportive. Vu son poids, j'aurais eu bien du mal à rester droit dans le cas contraire. Quant à Moonlight, il demeure face à son écuelle, le regard résolument rivé dessus comme si cela allait permettre qu'il se remplisse, immobile au point qu'il devienne une ombre grâce à son pelage d'encre.
J'embrasse Sunlight, le pose par terre, caresse Starlight et Moonlight avant de m'emparer de leurs gamelles et d'y verser leurs rations de croquettes. Je les gâte en y ajoutant un peu d'huile de saumon et les remets à leurs emplacements respectifs. Leurs miaulements cessent à la seconde où ils se précipitent sur leurs repas. Je les flatte une dernière fois et m'en vais manger à mon tour.
Une fois installé devant mon plat de nouilles instantanées, je repasse en boucle mes retrouvailles avec Ji-ho. Ses yeux sont tellement plus cernés que dans mes souvenirs... et ses joues plus creuses aussi. Est-ce qu'il se nourrit à sa faim ? Dort-il assez ou, comme auparavant, veille-t-il jusqu'à l'aube ? Surtout qu'il n'a plus personne à présent pour lui mettre des limites. Do-yun a beau être notre ainé et le leader du groupe, Ji-ho ne l'écoutait jamais. Il n'y avait que moi. J'étais son garde-fou de ce côté-là et le fait de le voir dans cet état m'inquiète. Peut-être est-ce pour cela que j'ai accepté de manger avec lui et les autres...
Non. Ce n'est pas uniquement pour cela.
Pendant ces mois loin d'eux et de la musique, toutes mes pensées étaient dirigées vers eux. Si je n'ai pas suivi leurs activités de près comme je l'aurais aimé, c'est parce que je ne m'en sentais pas le courage. J'ai essayé au départ, mais je fondais en larmes dès que je les voyais à l'écran, dès que leurs voix retentissaient à mes oreilles. Tous nos souvenirs me revenaient en mémoire et me torturaient. J'ai cessé d'aller sur les réseaux sociaux, car toute la haine que j'y recevais m'a détruit, et je me suis concentré sur ce qui était sous mes yeux. Ma famille. Mes chats, Sunlight et Moonlight. Et mon avenir.
Un avenir incertain, mais pas perdu. J'avais à peine dix-huit ans et la vie devant moi. J'ai reporté mon service militaire à l'année prochaine, le temps de me remettre mentalement des évènements et de ne pas alimenter de potentielles rumeurs.
Et c'est à ce moment de mon existence où je doutais le plus de moi, de mon rôle à jouer sur cette terre, que j'ai entendu un miaulement faible sur un pont. J'ai trouvé une boite en carton avec un chaton écaille de tortue et des yeux jaunes à l'intérieur. Il était maigrichon, épuisé et à l'article de la mort. Sans réfléchir, j'ai foncé chez le vétérinaire du quartier et ai adopté ma petite Starlight. Elle a eu du mal à se faire à sa nouvelle vie, car elle était terrorisée par les humains, mais quand elle a compris que je ne cherchais qu'à l'aider, elle s'est radoucie et m'a accepté. Et une fois rétablie, elle ne me lâchait jamais. Elle se battait avec mes grands dès qu'ils s'approchaient de moi. Elle a fini par s'adapter puisqu'ils se contentaient de l'ignorer.
Cependant, malgré l'amour de mes parents et la présence de mes animaux, je ne parvenais pas à passer à autre chose. Les gens dans la rue me toisaient et ne cachaient pas le dégoût que je leur inspirais. Ils avaient eu vent des rumeurs puisqu'ils suivaient notre avancée. Après tout, nous étions un peu les prodiges de notre village. Nous les campagnards devenus des stars nationales.
Je n'arrivais plus à soutenir leurs regards acérés, à supporter les murmures qu'ils prononçaient dans mon dos alors je suis parti de cet endroit où j'ai grandi, rencontré mes amis les plus proches et fais mes études. Pas très loin, juste dans un hameau encore plus perdu, même pas représenté sur la carte de la Corée du Sud.
Starlight saute sur la table, manquant de renverser mon verre d'eau, et s'assied face à moi. Je la fusille du regard, mais elle m'ignore et toilette son long pelage.
— Tu sais pourtant que la table t'est interdite, ma chère Starlight.
Elle me toise, se détourne et continue de se laver. Agacé par son comportement, je l'attrape et la dépose par terre. Elle feule à mon encontre et s'enfuit à toutes jambes vers le balcon aménagé spécialement pour eux. Je soupire, mi-amusé mi-las, et m'empare de mon téléphone à la recherche d'une occupation pendant que je finis mon repas.
— C'est vrai qu'ils ont sorti un nouvel album, murmuré-je alors que je fais ma revue de presse.
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Romance« Il était mon premier amour et mon corps refusait de passer à autre chose tant que je n'avais rien tenté. Parce que c'est ça un premier amour : un amour si fort qu'il en devient irrationnel, égoïste et dévorant s'il ne voit pas le jour à un moment...