Ha-joon
J'hésite un instant avant de céder à la tentation d'écouter leur travail. La première musique se lance sur mes enceintes connectées et je grimace à l'entente des premiers accords de piano. Ça promet une chanson des plus mièvres, en totale opposition avec nos créations déjà parues. Et ça ne loupe pas... La voix de Soo-yeong déblatère sur un amour impossible digne d'une enfant de primaire en alternance avec celle de Ji-yoon. Min-seo rappe sur les derniers mots de chaque phrase lors des couplets tandis qu'elle s'occupe d'annoncer les refrains. Les deux autres vocalisent pendant ce temps. Elles se taisent, le piano continue ses accords bêtes et méchants, du niveau d'un élève qui débute, avant d'achever par un arpège mineur.
— OK... Et la prochaine chanson sera sur le thème de la haine interprété par les deux garçons ?
Un solo de guitare électrique m'agresse les oreilles après la douceur du piano, mais j'avoue que ce n'est pas pour me déplaire... Je préfère les musiques rocks. Je tapote la table en même temps que la batterie et la basse se joignent à l'instrumental et tombe presque de ma chaise quand Ji-ho entame un rap puissant sur... la rancœur qui l'habite et le ronge de l'intérieur. Le timbre de voix grave de Do-yun incarne le rôle d'un diable qui le tente à commettre l'irréparable, tandis que lorsqu'il passe dans les aigus, il joue l'ange qui l'en dissuade. La forme sans refrain de la chanson n'est pas mauvaise, car cela change, mais le thème abordé gâche tout selon moi.
Ces deux titres sont à des années-lumière de ce qu'on s'était promis de chanter en formant le groupe. Alors que les musiques défilent, je vérifie les crédits et me fige en m'apercevant que les noms de mes anciens collègues ne figurent nulle part, hormis dans la case « interprètes ». Les nouveaux parolier, compositeur et producteur des Rythm Guys ne sont ni plus ni moins que ceux que l'agence a tenté de nous imposer à nos débuts...
— Ceci explique cela...
Je pose mon téléphone face contre la table et ferme les yeux, m'apprêtant à me bousiller les oreilles avec le dernier de leurs sons, parce que je ne parviens pas à appeler ça des chansons. Je fronce les sourcils lorsque les notes de piano s'enchaînent en plusieurs accords maîtrisés et parfaitement exécutés. Un violon annonce la mélodie avant même que des mots ne soient prononcés et, quand sa phrase musicale s'achève, Do-yun prend la parole de son timbre grave qui fait fureur auprès de nos fans. Ils entament ensemble le final de son couplet, composé seulement de deux vers. Mais cela suffit à me tirer des larmes.
Everything they said was false :
You are our brother, our protector.
Min-seo, dont le rap déchire mon cœur en deux tant sa douleur est palpable, enchaîne ensuite avec sa partie. Ji-yoon continue, la voix tremblante d'une émotion que j'ai du mal à qualifier, avant que Ji-ho ne s'en mêle et nous offre un rap qui réduit ce qu'il reste de mon organe vital en lambeaux.
The music, the lyrics, they were your passion.
We followed you because we trusted you.
Now that you are no longer here, we are groping in the dark,
Balancing on a nylon wire.
Soo-yeong prend le relai de son timbre lyrique et nous donne l'impression que la fin du monde est arrivée, que tout est terminé.
Je déglutis, épaté par cette performance remarquable, et m'apprête à regarder les crédits. Je suis stoppé dans mon élan alors que leurs cinq voix se mêlent en vocalises toutes plus puissantes les unes que les autres.
Oh, you who were our beacon on this boundless ocean,
Oh, you who were our moon in this infinite firmament,
Oh, you who were our sun in this eternal azure lake,
You have stopped shining and disappeared from our horizon.
Without you, we drift and cannot recover.
Without you, we are nothing, we are doomed to disappear.
Elles se marient à la perfection en un appel à l'aide, un SOS. Le violon revient en solo sur des notes suraiguës que les vibratos rendent encore plus émouvantes. Alors que sa propre phrase se termine, il entame un trémolo qui s'alanguit pour finalement se taire.
Le silence résonne dans la pièce. Même mes chats n'osent pas faire le moindre mouvement, comme si la chanson allait reprendre. Mais non. Elle est belle et bien achevée. Tout comme l'album des Rythm Guys. Curieux de la grande différence de profondeur entre ce texte et tous les autres, j'attrape mon portable et esquisse un sourire quand j'aperçois chacun de leurs pseudos dans la case « paroliers, compositeurs et producteurs ».
— Bravo, les gars ! m'exclamé-je dans un souffle, les larmes au bord des yeux. Ça, c'est de la chanson de qualité !
Alors que je m'apprête à la relancer, mon téléphone m'affiche la réception d'un message. Je fronce les sourcils, car ce n'est pas le jour où je dois appeler mes parents.
« Hello HJ !
J'espère que ce numéro est encore le tien, car j'ai oublié de te le demander tout à l'heure... Pour notre rdv, on se dit demain 21 h au Domaine des Hortensias ?
Confirme-moi ta venue, s'il te plaît. Je débarquerais sur ton lieu de travail sinon.
Bonne soirée et à demain,
JH »
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Roman d'amour« Il était mon premier amour et mon corps refusait de passer à autre chose tant que je n'avais rien tenté. Parce que c'est ça un premier amour : un amour si fort qu'il en devient irrationnel, égoïste et dévorant s'il ne voit pas le jour à un moment...